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Quel était l’âge de 'Âicha au moment de son mariage avec le Prophète ﷺ ?

La question de l’âge de ‘Â'isha lors de son mariage est une question sensible car les sources à ce sujet divergent fortement. Nous vous présentons ici l'étude du Centre de Recherche de Médine que nous avons traduite pour apporter une réponse satisfaisante aux musulmans francophones.

Le Messager de Dieu ﷺ demanda en mariage ‘Âicha – la mère des croyants – à La Mecque après le décès de sa première épouse Khadîja. Toutefois, leur mariage eut lieu à Médine quelques années plus tard. ‘Âicha fut sa troisième épouse, puisque, suite au décès de Khadîja, il s’était marié avec Sawda bint Zam‘a avant l’hégire. La date du mariage du Prophète ﷺ avec ‘Âicha est débattue au sein du vaste corpus de textes qui composent les sources de la sîra. Les sources divergent en effet pour situer le moment du mariage du Prophète ﷺ avec elle : certains récits mentionnent que le mariage se déroula avant la bataille de Badr tandis que d’autres affirment qu’il eut lieu après ladite bataille qui se déroula 20 mois après l'hégire. Cependant, ce qui est certain, c’est que ce mariage n’a été consommé que plusieurs mois au moins après l’hégire. En effet, des avis soutiennent qu’il fut célébré durant le mois de Shawwâl, 9 mois après l’hégire, alors que d’autres affirment qu’il aurait eu lieu lors du huitième ou dixième mois de la seconde année hégirienne. Le sujet de notre article vise à exposer ce qui nous semble être le plus conforme à la vérité à ce propos.

Dans ce but, nous nous appuierons sur divers récits et sources authentiques desquels nous tirerons des indices et arguments qui nous conduiront, nous l’espérons, à ce qui est le plus juste.

1. Pour commencer, il est nécessaire de rappeler que la société arabe où l’islam est apparu est une société orale où l’écriture occupe une place mineure. C’est précisément ce qui justifie qu’une grande majorité des Arabes contemporains du Prophète ﷺ, dont ce dernier, étaient illettrés. Dans le même sens, étant donné qu’ils n’avaient pas de calendrier précis, ils se servaient des événements majeurs ayant marqué leur vie et leur mémoire comme référence pour dater un fait et le situer par rapport à un autre. À titre d’exemple, l’Envoyé de Dieu ﷺest né durant « l’année de l’éléphant ». C’est durant cette année-là qu’Abraha l’Éthiopien, gouverneur du Yémen à cette époque, envoya son armée avec à sa tête des éléphants afin de détruire la Ka‘ba. Cet événement est mentionné dans les ouvrages de sîra. A fortiori, aucune administration civile n’enregistrait les naissances et les décès à cette époque. Toutes les informations mentionnant l’âge des individus ayant vécu durant cette période sont donc approximatives. Afin d’illustrer cela, nous pouvons mentionner le cas du grand-père du Prophète ﷺ‘Abd al-Muttalib, et celui de Hassân b. Thâbit et al-Nâbigha Al-Ja‘diyy, considérés tous deux comme les plus grands poètes en leur temps. Il est rapporté que tous trois moururent à l’âge de 120 ans. On peut légitimement s’interroger sur la précision de ce chiffre. Les récits ne mentionnent pas en effet que l’un aurait par exemple vécu 115 ans, et l’autre 125, mais qu’ils vécurent tous les trois 120 ans. Ce chiffre est aussi avancé pour l’âge auquel seraient décédées d’autres personnalités de leur temps. Il arrive d’ailleurs même que différents âges de décès soient avancés pour une seule et même personne. Nous pouvons également citer l’avis notoire et répandu selon lequel, l’épouse du Prophète ﷺ, Khadija, avait 40 ans lorsqu’elle l’épousa. Or, nous savons qu’elle a donné naissance à six enfants par la suite, ce qui implique qu’elle était probablement dans ses années les plus fertiles. Certes, il ne fait aucun doute qu’une femme qui atteindrait sa quarantième année puisse encore enfanter, mais donner naissance à six enfants reste peu probable. Toutefois si, une femme a six enfants, sur une période d’environ 10 ans, cela signifie soit qu’elle est probablement jeune et dans une période idéale pour enfanter, soit, qu’elle aurait plus ou moins, entre 18 et 35 ans. D’ailleurs, certains récits mentionnent différents âges lors de leur mariage :45, 35, 30, 28 ou encore 25 ans. Tous ces chiffres, concernant son âge, sont cités dans différents ouvrages de sîra. Nonobstant, pour donner prédominance à un récit sur l’autre, nous devons tenir compte d’autres éléments. En effet, il est important de rappeler que les chroniqueurs et historiens arabo-musulmans des premiers siècles de l’islam portaient une plus grande attention aux évènements majeurs qu’à leur dates précise. Tout cela ayant occasionné une certaine confusion sur le plan historique. C’est pourquoi cette situation épineuse implique un travail scrupuleux et précis sur la datation et l’âge des personnages historiques des premières années de l’islam.

2. Ensuite, bien qu’il soit courant d’entendre que le Messager de Dieu ﷺ aurait demandé la main de ‘Âicha alors qu’elle avait 6 ans, puis qu’ils se sont mariés quand elle en avait 9, nous affirmons pour notre part que cet avis est fortement douteux. Tout d’abord, rappelons qu’avant de se marier avec le Prophète ﷺ, ‘Âicha avait déjà été promise à Jubayr b. Mut‘im. Or, cette demande était une demande sérieuse et avait bien dépassé le stade d’une simple discussion entre les deux familles. En effet, lorsqu’Abû Bakr avait appris que le Prophète ﷺsouhaitait épouser sa fille ‘Âicha, il lui dit « Ô Messager de Dieu ﷺ, je l’ai déjà promise à Mut‘im b. ‘Adiyy pour son fils Jubayr. Laisse-moi le temps de me libérer de mon engagement envers eux». Cela montre que ce projet de mariage était déjà bien avancé. Et c’est grâce à l’agilité et l’habileté d’Abû Bakr qu’il a été possible d’y renoncer sans provoquer de la rancœur entre les deux familles.

3. Comment le Prophète ﷺ a-t-il eu l’idée de se marier avec ‘Âicha ? Rappelons, avant de répondre à cette question, qu’il se maria avec Khadîja alors qu’il avait une vingtaine d’années. Il vécut auprès d’elle une vie paisible et heureuse pendant 25 ans. Elle donna naissance à quatre filles et deux garçons (ces derniers moururent en bas âge). Lorsque l’Envoyé de Dieu ﷺreçut la révélation pour la première fois, Zaynab, sa fille aînée, était mariée à Abû al-‘ s b. Rabî‘. Quant à Ruqayya et sa soeur Umm Kulthûm, elles étaient mariées respectivement à ‘Utba et ‘Utayba, les deux fils d’Abû Lahab – l’oncle du Prophète ﷺ. Toutefois, leur mariage n’avait pas encore été consommé. Lorsque Abû Lahab, qui était réputé pour être l’un des plus ardents ennemis de l’islam ordonna à ses deux fils de les répudier, ils s'exécutèrent. Ruqayya se maria alors avec ‘Uthmân b. ‘Affân. Quand le Messager de Dieu ﷺ ordonna à une poignée de musulmans d’émigrer en Abyssinie durant la 5eannée de la révélation, ‘Uthmân et son épouse Ruqayya furent parmi les premiers à émigrer. Cinq ans plus tard (soit dix ans après la révélation, et trois ans avant l’hégire), Khadîja décédera. Quelque temps après son décès, Khawla bint Hakîm – l’une des tantes de Muhammad ﷺ et l’une des premières personnes à avoir embrassé l’islam à La Mecque – vint trouver le Prophète ﷺ pour lui parler. Connaissant l’attachement du Prophète ﷺ envers sa défunte épouse, elle savait le grand vide que cela avait laissé chez lui. N’était-elle pas celle qui le soulageait dans ses moments de souffrance ? N’était-elle pas celle auprès de qui il trouvait réconfort et qui avait fait de son foyer un lieu de repos et de sérénité ? C’était elle qui l'encourageait à continuer dans sa lutte et à persévérer dans l’appel à l’islam. C’est pour toutes ces raisons que Khawla vint trouver le Prophète ﷺafin de lui proposer de se remarier. Le trouvant ouvert à cette idée, elle lui demanda s’il souhaitait une femme qui avait ou pas été mariée préalablement. Puis elle lui proposa deux noms :Sawda bint Zam‘a et ‘Âicha, la fille d’Abû Bakr. Le Prophète ﷺ l’a chargera alors de les demander toutes deux en mariage en son nom. Peu de temps après cette discussion, le Messager de Dieu ﷺ se maria avec Sawda. Quant à son mariage avec ‘Âicha, il n’advint qu’après l’émigration à Médine, qui n’eut lieu que 3 ans au moins après cette entrevue. Lorsque Khawla bint Hakîm fît part du souhait du Prophète ﷺ à Abû Bakr, celui-ci lui expliqua qu’il devait d’abord mettre un terme à la promesse de mariage avec Jubayr b. Mut‘im. On peut alors se demander pourquoi ni le Prophète ﷺ, ni qui que ce soit d’autre au sein de la famille de ‘Âicha n’a-t-il évoqué le fait qu’elle soit trop jeune pour se marier ? Pourtant, le Prophète ﷺavait mis en avant le jeune âge de sa fille Fâtima à deux reprises, alors que deux de ses plus illustres compagnons, Abû Bakr et ‘Umar, avaient demandé la main de cette dernière. Comment Khawla, dont on peut souligner la clairvoyance, pour avoir compris l’émotion suscitée chez le Prophète ﷺ par la perte de Khadîja, aurait-elle pu lui soumettre l’idée de se marier à une enfant de six ans, plus jeune donc que ses propres filles à lui ? Une enfant de cet âge qui vivrait chez le Prophète ﷺ n’aurait-elle pas été un fardeau de plus qui se serait ajouté à tout ce qu’il avait déjà à endurer ? Par ailleurs, l’idée de Khawla était de rechercher un mariage assez rapide afin que celui ci apporte réconfort et soutien au Prophète ﷺ. Sachant qu’elle ne pensait pas qu’il allait demander en mariage les deux femmes qu’elle lui avait proposées. On peut donc en déduire qu’elle n’envisageait pas un mariage à conclure des années plus tard. Ce qu’elle souhaitait pour son neveu, c’était qu’il se marie avec une femme qui comblerait au moins partiellement le vide que Khadîja avait laissé et qu’elle lui apporte sérénité et apaisement. L’enjeu est grand, et c’est pour cette raison qu’elle a mûrement réfléchi et qu’elle n’a gardé que deux noms à proposer au Prophète ﷺ. Or, si ‘Âicha avait 6 ans à ce moment-là, comme l’avance une version très répandue, pourquoi l’aurait-elle choisie ? Ce serait en effet très surprenant. Une enfant de 6 ans nécessite elle-même une grande attention, il serait donc impossible de lui confier une responsabilité aussi lourde que celle de s’occuper d’un homme qui porte sur ses épaules l’une des missions les plus difficiles de l’Histoire. Enfin, gardons à l’esprit que si elle avait six ans à ce moment-là, elle aurait été plus jeune que les deux filles cadettes du Prophète ﷺ qui vivaient encore toutes les deux avec lui.

4. Parmi les éléments pouvant nous orienter sur l’âge de ‘Âicha lors de son mariage, nous pouvons nous référer au moment de son entrée en islam. Ibn Ishâq, qui a écrit le premier récit détaillé de la vie du Prophète ﷺ et des débuts de l’Islam, mentionne une liste de 51 hommes et femmes ayant répondu à l’appel du Prophète. Aucun enfant en bas-âge ne figure sur cette liste. ‘Alî y figure, mais on sait que sa conversion intervient alors qu’il a une dizaine d’années. La plupart des personnes figurant sur cette liste faisaient partie des 101 compagnons ayant participé à l’émigration en Abyssinie qui eut lieu durant la cinquième année après la révélation. A ce moment-là, la communauté musulmane comptait environ deux cents personnes. On peut donc en déduire légitimement que les cinquante-et-un compagnons de cette liste avaient embrassés l’islam bien avant cette émigration, au sujet de laquelle nous reviendrons. Ibn Ishâq rapporte ceci :« [Les premiers à avoir cru en la prophétie du messager de Dieu sont : Kha-dîja, ‘Alî b. ‘Abû Tâlib, Zayd b. Hâritha, Abû Bakr b. Abû Quhâfa, ‘Uthmân b. ‘Affân, al-Zubayr b. al-‘Awwâm, ‘Abd al-Rahmân b. ‘Awf, Sa‘d b. Abî Waqqâs, Talha b. ‘Ubaydallâh] Puis se sont convertis :Abû ‘Ubayda dont le nom est 'Amir b. ‘Abdallâh b. al-Jarrâh, Abû Salama dont le nom est ‘Abdallâh b. ‘Abd al-Asad, al-Arqam b. Abî al-Arqam, ‘Uthmân b. Madh‘ûn ainsi que ses deux frères Qudâma et ‘Abdallah, ‘Ubayda b. al-Hârith b. ‘Abd al-Muttalib, Sa‘îd b. Zayd b. ‘Amr ainsi que son épouse Fâtima bint al-Khattâb (la sœur de ‘Umar), Asmâ’ bint Abî Bakr ainsi que ‘Âicha bint Abî Bakr qui était jeune à ce moment-là, Khabbâb b. al-Arat l’allié des Banî Zu-hra…». Nous savons, en nous basant sur les différents récits et événements de la sîra, qu’ils figuraient tous parmi les premiers convertis. En ce qui concerne l’ordre des noms de cette liste, on constate que Asmâ’ et ‘Âicha sont respectivement mentionnées en 19eet 20eposition. Il serait étonnant que ‘Âicha soit le seul enfant en bas âge à être cité. En effet, si elle avait 9 ans lors de son mariage avec le Prophète ﷺ, cela impliquerait qu’au moment de l’émigration en Abyssinie, soit 5 ans après la révélation, elle n’aurait eu que 1 an. Or, comme nous l’avons déjà mentionné, tous ceux qui figurent sur cette liste avaient embrassé l’islam bien avant cette émigration. ‘Âicha ne pouvait donc pas avoir 9 ans lors de son mariage, qui ne se déroula qu'entre 8 et 10 ans après cette émigration. Cette émigration n’ayant elle-même eu lieu, selon Ibn Ishâq, qu’au moins plusieurs mois après que ‘Âicha se soit convertie à l’islam. De plus, il existe de nombreux arguments et preuves confirmant que ‘Âicha se convertit à une étape précoce de l’appel à l’islam. Si nous supposons qu’elle avait 10 ans lors de sa conversion (pour rester cohérent sur le fait qu’elle se soit convertie de son propre chef) et que sa conversion aurait eu lieu l’année de l’émigration en Abyssinie (soit 5 ans après la première révélation), cela signifierait qu’elle avait 19 ans lors de son mariage avec le Prophète ﷺ. Mais si l’on suppose qu’Ibn Ishâq parle davantage d’une enfant de 12 ans et que ‘Âicha s’est convertie peu après ses deux parents, elle aurait alors eu une vingtaine d’années lors de son mariage.

5. Si ‘Âicha avait vraiment 9 ans lors de la célébration de son mariage, alors elle avait 8 ans lorsque le Prophète ﷺ émigra à Médine avec son père Abû Bakr. Penchons-nous alors sur ce récit rapporté par Ibn Ishâq, avec une chaîne de transmission remontant jusqu’à ‘Âicha :« Le Messager de Dieu ﷺ ne manquait jamais de rendre visite à Abû Bakr chez lui, soit très tôt le matin, soit en soirée. Jusqu’au jour où Dieu lui ordonna de quitter secrètement La Mecque, sans que personne ne soit au courant, afin d’émigrer [à Médine]. C’est ainsi qu’il nous rendit visite à une heure qui lui était inhabituelle, à midi lorsque la chaleur est intense. Lorsqu’Abû Bakr l’aperçut, il dit :‘Rien ne ferait venir l’Envoyé de Dieu ﷺ à cette heure-ci s’il n’y avait pas quelque chose d’important’. […] Le Messager de Dieu ﷺ s’assit alors que j’étais auprès de mon père ainsi que de ma sœur Asma’. Le Prophète ﷺ dit alors [à Abû Bakr] :‘Fais sortir ceux qui sont présents !’, ce à quoi Abû Bakr répondit :‘Ô Messager de Dieu ﷺ, seules mes deux filles sont avec nous. Mais qu’y a-t-il […] ?’. Il dit alors :‘Dieu m’a ordonné d’émigrer’. Abû Bakr lui demanda :‘Ô Messager de Dieu ﷺ, est-ce que je t’accompagnes ?’ et il lui répondit :‘Oui, tu m’accompagnes’. Par Dieu, je n’avais jamais vu auparavant une personne pleurer de joie comme Abû Bakr à ce moment-là. Il dit ensuite :‘Ô Prophète ﷺ de Dieu, voici deux montures que j’avais préparées pour cette occasion ». ‘Âicha rapporte ici un événement dont elle a été le témoin privilégié juste avant l’émigration vers Médine. Selon les différentes narrations, son mariage avec le Prophète ﷺ se déroula un an environ après cet événement. Dès lors, si l’on suppose qu’elle avait effectivement 9 ans lors de son mariage, c’est qu’elle aurait eu 8 ans ou moins lors de cette conversation entre le Prophète ﷺ et son père. Compte tenu de la description faite de son père, il ressort qu’elle a observé les effets qu’une telle nouvelle avait produit sur le visage et dans les yeux de ce dernier. Est-il possible qu’une enfant de 8 ans puisse avoir un tel discernement au point de distinguer les larmes de joie et de tristesse ? Le sentiment spontané d’une enfant de cet âge voyant son père pleurer ne la pousserait-il pas à ressentir de la détresse voire de la colère ? Il semblerait plus réaliste qu’une fillette de 8 ans dans cette situation veuille consoler son père en le prenant dans ses bras par exemple, tout en étant certainement troublée et confuse. Or on constate qu’il n’en fut rien, bien au contraire. ‘Âicha comprit que son père pleurait de joie et ne fut nullement affectée par ce qu’il se passait. Par ailleurs, il est évident que ce projet d’émigration devait rester strictement secret. Serait-il sage d’en parler devant des enfants qui ne comprendraient pas l’importance de l’affaire et la nécessité de garder le secret ? D’ailleurs, nous savons que quand les Qurayshites ont réalisé que le Prophète ﷺ et Abû Bakr avaient quitté La Mecque, Abû Jahl s’empressa d’interroger Asmâ’. Il la gifla violemment quand elle lui dit qu’elle ignorait où était son père. Si ‘Âicha n’avait que 8 ans à ce moment-là, le Messager de Dieu ﷺ aurait-il pris le risque d’exprimer son intention d’émigrer en sa présence et ainsi de mettre en danger l’opération ?

6. Les réactions de ‘Âicha lors de certaines circonstances nous renseignent sur sa personnalité, sa psychologie mais aussi sur son âge. Parmi ces événements, nous pouvons évoquer l’épisode dit de la « calomnie » : les hypocrites de l’époque propagèrent une rumeur accusant ‘Âicha d’avoir eu une relation extra-conjugale avec Safwân b. al-Mu‘attal, l’un des jeunes compagnons du Prophète ﷺ. Cette rumeur mensongère continua à alimenter les discussions à Médine un mois durant sans que le Prophète ﷺ ne puisse trouver un élément qui tranche la question et rétablisse la vérité. Durant cette période, ‘Âicha fut malade au point de devoir retourner chez ses parents afin que sa mère lui prodigue tous les soins nécessaires. Un jour, alors que le Messager de Dieu ﷺ lui rendit visite, il lui demanda de se repentir si toutefois elle avait commis un tel péché. Elle se mura dans le silence sans tenter de se défendre et demanda à ses parents de répondre à sa place mais ces derniers lui répondirent qu’ils ne savaient quoi répondre. ‘Âicha persista dans son entêtement en ne disant mot, ni même pour essayer de se défendre. Convaincue de son innocence, elle espérait le secours divin qui viendrait prouver son innocence. C’est à ce moment-là que fut révélé un verset du Coran qui allait l’innocenter. Cet événement se déroula durant la 5eannée de l’hégire, soit 3 ou 4 ans après son mariage. Si ‘Âicha avait 9 ans lors de son mariage, alors elle aurait été âgée de 12 ou 13 ans lors de cette épreuve de la calomnie. Penchons-nous donc sur la situation en détail : une femme qui saisit les paroles et rumeurs l’accusant d’adultère ; ses propres parents incapables de prendre sa défense ;et enfin son propre mari – qui n’est autre que le Messager de Dieu ﷺ– lui demandant de se repentir si toutefois elle avait commis ce péché. Or quelle attitude a été adoptée ici par cette supposée fillette de 13 ans face à toute cette pression ? Elle a persévéré, sachant parfaitement qu’elle était innocente. C’est Dieu lui-même qui innocentera ‘Âicha dans un verset du Coran. Immédiatement après avoir reçu cette révélation, le Prophète ﷺ s’empressa de lui annoncer cette bonne nouvelle. Mais quand la mère de ‘Âicha lui demanda de rejoindre son mari, elle garda la même attitude et lui répondit :« Par Dieu ! Je n’irai pas vers lui et ne remercierai que Dieu le Tout Puissant9! ». Nous sommes ici face à une femme adulte blâmant son mari. Elle blâmait ici Muhammad, dans sa dimension humaine, et non sa dimension prophétique, et l’accablait. Or, il semble impossible qu’une telle attitude vienne d’une enfant de 13 ans, mais plutôt d’une femme mature cherchant à affirmer sa droiture et sa personnalité dans un tel moment de contrariété face à son époux.

7. L’un des faits les plus marquants de l’Histoire musulmane est la bataille d’Uhud, lors de laquelle les musulmans ont essuyé leur premier revers militaire dans leur lutte contre les polythéistes. Avant le départ pour Uhud, le Messager de Dieu ﷺ s’est rendu auprès de ses troupes et a constaté la présence d’un certain nombre de jeunes parmi elles. Il a alors ordonné à tous ceux âgés de moins de 15 ans de retourner à Médine, ce qu’ils firent. Les femmes aussi participaient aux expéditions militaires en présence du Messager de Dieu ﷺ. Elles prodiguaient généralement les premiers soins aux blessés et ne manquaient pas d’encourager les combattants. Durant la bataille d’Uhud, certaines d’entre elles participèrent même au combat. D’ailleurs, de nombreux textes mentionnent le courage dont a fait preuve Nusayba bint Ka‘b lorsqu’elle repoussa plusieurs attaques de polythéistes qui visaient à tuer le Prophète ﷺ. C’est durant le mois de Shawwâl, la troi-sième année de l’hégire que se déroula cette bataille – soit environ deux ans après le mariage de ‘Âicha. Un hadith authentique que l’on retrouve dans plusieurs chapitres du recueil de l’imam al-Bukhârî, mentionne le récit suivant rapporté par Anas b. Mâlik :« Le jour de la bataille d’Uhud, lorsque les gens commencèrent à fuir en laissant le Prophète ﷺ. […] J’ai vu ‘Âicha, la fille d’Abû Bakr, et Umm Sulaym faire preuve d’un grand dévouement. Elles portaient des outres sur leur dos (dans d’autres versions, elles les déplaçaient) pour abreuver les musulmans. Ensuite, elles revenaient les remplir d’eau. » Si elle avait 9 ans lors de son mariage, elle aurait donc eu 11 ans ou peut-être moins lors de cette bataille. Or, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, le Messager de Dieu ﷺ n'autorisait pas ceux qui avaient moins de 15 ans à participer au combat. Si ‘Âicha avait 11 ans à ce moment là, comment aurait-il pu lui permettre d’y participer ?

8. Le savoir de ‘Âicha est un indicateur supplémentaire sur son âge. Elle était connue pour sa grande connaissance de l’islam. Elle apportait ainsi son expertise en exprimant ses avis personnels avec beaucoup d’assurance. D’ailleurs, en cas de divergences, elle ne se privait pas de réfuter les avis des compagnons les plus savants. Un ouvrage de l’imam Badr al-Dîn al-Zarkashiyy est entièrement consacré aux corrections et aux rectifications scientifiques apportées par ‘Âicha aux compagnons. Dans son introduction, ce dernier écrit :« J’ai réuni dans cet ouvrage ce qui la distinguait, les sujets dans lesquels elle eut différents avis, les traditions éclairées qu’elle a pu rapporter, ainsi que ses apports déterminants sur le plan scientifique, les confrontations qu’elle a eues sur certains sujets avec les savants de l’époque, les grands de son époque qui la consultait, ses fatwas ou encore ses efforts d’interprétation (ijtihâd) ». L’imam al-Zarkashiyy a également mentionné une vingtaine des plus illustres compagnons avec qui elle aurait été en divergence comme ‘Umar b. al-Khattâb, ‘Alî b. Abî Tâlib, ou ‘Abdallâh b. ‘Abbâs. Cinquante-neuf de ses corrections sont ainsi rapportées. À l’instar de toutes les filles de son époque, ‘Âicha a reçu les rudiments élémentaires en matière d’éducation à La Mecque. Néanmoins, elle a certainement profité du fait d’être issue de la famille de Abû Bakr, le compagnon et l’ami le plus proche du Prophète ﷺ, à la fois en terme d’ouverture d’esprit mais aussi de finesse intellectuelle. Par la suite, c’est auprès du Prophète ﷺlui-même qu’elle acquit la majeure partie de sa science. Si elle avait réellement 9 ans lors de son mariage, elle aurait alors eu 18 ans ou moins lors du décès de ce dernier. À cet âge, toute personne entre dans une phase de structuration intellectuelle qui lui permet d’acquérir les outils de la compréhension, tandis que la phase de débats ou de critiques se développe chez l’individu plutôt à l’âge de la maturité, donc bien après. Ce degré n’est atteignable qu’au prix d’efforts considérables et indispensables de la part de l’apprenant et de l’enseignant. Ainsi, l’élève pourra comprendre et assimiler certains outils [scientifiques] qui lui permettront de mettre en cause les théories et de débattre sur certaines questions. Or, les connaissances de ‘Âicha semblent relever de cette catégorie, car elle avait en effet la capacité de débattre de ce qu’elle avait assimilé en matière de connaissances. En conséquence, cela montre bien qu’elle était plus âgée que l’âge très jeune, souvent avancé pour son mariage.

9. Nous est-il possible de connaître l’année de naissance de ‘Âicha ? Cela semble difficile d’après les éléments cités précédemment, parmi lesquels l’absence de calendrier ou de datation qui permettrait de retenir les dates de naissance et de décès à cette époque. Nous pouvons néanmoins nous appuyer sur un certain nombre d’éléments pour essayer d’y parvenir. Tout d’abord, le célèbre historien Muhammad b. Jarîr al-Tabarî cite dans ses Chroniques qu’Abû Bakr a eu quatre enfants – deux d’une première épouse et deux d’une seconde – qui sont tous nés avant le début de la révélation. Or, le mariage de ‘Âicha a eu lieu au moins 14 ans après le début de la révélation.

Nous savons, par ailleurs, que sa sœur Asmâ’, qui avait dix ans de plus qu’elle, est décédée en l’an 73 de l’hégire, à l’âge de 100 ans, voire un peu plus. Ces deux éléments – l’âge du décès d’Asmâ’ et le fait qu’elle avait 10 ans de plus que ‘Âicha – ne peuvent être affirmés de manière catégorique. Toutefois, si l’on suppose que ces informations sont vraies, on pourrait en conclure que ‘Âicha serait née 4 ou 5 ans avant la révélation et que, par conséquent, elle avait 18 ou 19 ans lors de son mariage avec le Messager de Dieu ﷺ. Enfin, un récit souligne qu’Abû Bakr avait 28 ans lorsqu’il s’est marié à Umm Rumân, la mère de ‘Âicha. Or, Abû Bakr avait deux ans de moins que le Prophète ﷺ :il avait donc 38 ans au début de la révélation. À côté de cela, rien n’indique qu’il aurait eu des enfants décédés en bas-âge. Tout cela nous amène à penser qu’Umm Rumân et Abû Bakr ont eu leurs deux enfants dans les cinq années ayant précédé la révélation. ‘Âicha serait alors née au moins 5 ans avant l’avènement de l’islam et aurait plutôt eu 19 ou 20 ans lors de son mariage.

10. Tous ces arguments nous poussent à nous demander pourquoi tant de gens continuent, malgré tout, à répéter que‘Âicha s’est « fiancée à 6 ans et mariée à 9 ans » ? La réponse est que ce récit a été rapporté par l’imam al-Bukhârî. C’est un sujet qui serait très long à traiter ici. Toutefois, nous savons que tout hadith est composé de deux éléments : la chaîne de transmission (sanad) et le texte (matn). La chaîne de transmission relève du champ des spécialistes du hadith (muhaddithûn), le texte de celui des juristes (fuqahâ’). Ainsi, selon les juristes, s’il n‘y a aucune défaillance évidente dans le texte (selon leurs critères), celui-ci sera considéré comme authentique, à condition que la chaîne de transmission le soit aussi. Quant aux muhaddithûn, leur méthodologie rigoureuse leur permet d’apprécier le texte selon ses rapporteurs. Cette science de la critique des narrateurs – connue sous le nom d’al-jarh wa al-ta‘dîl classifie les rapporteurs selon leur degré de fiabilité. En regardant de plus près le hadith mentionnant que ‘Âicha avait 9 ans quand elle s’est mariée avec le Messager de Dieu ﷺ, nous remarquons que le rapporteur [du hadith] n’est autre que Hishâm b. ‘Urwa b. al-Zubayr b. al-‘Awwâm. Les spécialistes du hadith le comptent parmi les personnes dignes de confiance. Néanmoins, ils précisent qu’il pouvait faire preuve d’un certain laxisme dans les récits qu’il a rapportés de son père après s’être installé en Irak à la fin de sa vie. Ainsi, les récits rapportés quand il vivait encore dans le Hijâz sont authentiques, tandis que ceux rapportés en Irak ne bénéficient pas de la même appréciation. Or, tous les récits qu’il a rapportés en lien avec notre sujet provenaient de son père alors qu’il vivait en Irak. C’est pourquoi tous les arguments et indices ayant été avancés précédemment semblent de loin les plus convaincants et, nous ne pouvons donc pas considérer ce récit comme étant tout à fait authentique.

11. Â’isha a rapporté pas moins de 2210 hadiths dont une partie figure dans les deux recueils de hadiths authentiques d’al-Bukhârî et Muslim. L’authenticité de ces hadiths ne peut être remise en cause. Ces textes nous renseignent, par ailleurs, sur de nombreux évènements dont elle avait été témoin et cela nous permet également de situer son âge. Dans les récits qu’elle rapporte, elle fait preuve d’une extrême précision, emploie des termes clairs (ne nécessitant aucun commentaire exégétique) et sans aucune ambiguïté, chose qu’un enfant d’un tel âge ne saurait faire. Ses mots n’ont nullement besoin d’être expliqués. D’ailleurs, il n’apparaît en aucun cas qu’elle était une petite fille lors de l’émigration. Penchons-nous sur certains récits qui sont dans le recueil de hadiths authentiques d’al-Bukhârî. ‘Urwa b. al-Zubayr rapporte que ‘Âicha a dit :« J’ai toujours connu mes parents musulmans. Aucun jour ne passait sans que le Messager de Dieu ﷺne vienne nous rendre visite aux deux extrémités de la journée (le matin et le soir). Lorsque les musulmans ont commencé à être persécutés, Abû Bakr prit le départ pour l’Abyssinie. En arrivant à Bark al-Ghimâd, il rencontra Ibn al-Dughunna, notable de la tribu d’al-Qârra qui lui dit :‘Ô Abû Bakr, où vas-tu ?’ Abû Bakr répondit :‘Les miens m’ont chassé. Je souhaite parcourir la terre afin d’adorer mon Seigneur’. Ibn al-Dughunna lui dit alors :‘Un homme comme toi ne doit ni fuir ni être chassé. Tu donnes à celui qui n’a rien, tu maintiens les liens de parenté, tu aides le faible, tu prends soin de l’hôte et tu soulages l’éprouvé. Je t’offre ma protection. Retourne donc d’où tu viens et adore ton Seigneur dans ta cité !’. Puis, Ibn al-Dughunna prit la route avec Abû Bakr. À son arrivée à La Mecque, Ibn al-Dughunna rendit visite aux notables de Quraysh qui étaient alors mécréants et leur dit :‘Un homme comme Abû Bakr ne doit ni fuir, ni être chassé. Voulez-vous chasser un homme qui donne aux nécessiteux, maintient les liens de parenté, aide les faibles, fait preuve d’hospitalité et soulage l’éprouvé ?’ ». Ils acceptèrent alors de respecter la protection accordée par Ibn al-Dughunna et lui garantirent qu’Abû Bakr serait en sécurité. Puis ils lui dirent :« Dis à Abû Bakr d’adorer son Seigneur chez lui ! Qu’il prie et qu’il lise ce qu’il veut tant qu’il lui plaît sans toutefois nous déranger ni le faire publiquement car nous craignons qu’il n’égare nos enfants et nos femmes ». Ibn al-Dughunna l’informa alors de cela et c’est ainsi qu’Abû Bakr commença à adorer Dieu au sein de sa maisonnée sans prier ni lire le Coran publiquement. Plus tard, Abû Bakr eut l’idée de construire, dans la cour de sa maison, un oratoire visible où il priait et lisait du Coran. Cela attira les femmes et les enfants des polythéistes qui venaient le regarder avec étonnement. Abû Bakr était un homme très sensible qui avait du mal à retenir ses larmes lorsqu’il lisait le Coran, ce qui effraya les notables de Quraysh. Ils envoyèrent un émissaire afin d’en informer Ibn al-Dughunna et lui dirent :« Nous avions accepté la protection que tu as donné à Abû Bakr à condition qu’il adore son Seigneur chez lui. Il vient d’outrepasser cela en construisant un oratoire dans la cour de sa maison. Il y prie et y lit le Coran publiquement. Nous craignons vraiment qu’il égare nos femmes et nos enfants. Va le voir ! S’il souhaite se contenter d’adorer son Seigneur chez lui, il pourra le faire mais s’il refuse et persiste à faire cela de manière publique, alors demande-lui de te libérer de ton engagement envers lui ! Nous ne voulons pas te manquer de respect mais nous ne pouvons accepter que cela soit fait publiquement par Abû Bakr ». ‘Âicha dit alors :« C’est ainsi qu’Ibn al-Dughunna alla voir Abû Bakr et lui dit :‘Tu sais très bien ce que nous avions conclu et ce qui nous lie. Soit tu te contentes de ce que nous avions conclu, soit tu me défies de mon engagement ! Il ne me plairait pas que les arabes puissent entendre que j’aurais manqué à mes engagements’, ce à quoi Abû Bakr répondit :‘Je te libère de ta protection, et j’accepte la protection de Dieu’ ». En résumé, que devons-nous retenir de ce long hadith quant à notre sujet ? Ce récit commence par : « J’ai toujours connu mes parents musulmans », mettant en évidence que ‘Âicha est née dans un foyer enraciné dans les préceptes de l’Islam. Elle continue en rapportant l’émigration de son père en Abyssinie qui a eu lieu lors de la cinquième année de la révélation. La précision et les détails de cette narration sont une preuve supplémentaire qu’elle devait être âgée d’au moins 8 ou 9 ans à ce moment-là et qu’elle n’avait donc pas moins de 19 ans lorsqu’elle s’est mariée avec le Messager de Dieu ﷺ.

12. Dans son Musnad, l’imam Ahmad rapporte d’après Abû Salama b. ‘Abd al-Rahmân b. ‘Awf et de Yahyâ b. ‘Abd al-Rahmân b. Abî Balta‘a :« Lorsque Khadîja est décédée, Khawla bint Hakîm, la femme de ‘Uthmân b. Madh‘ûn s’est rendue auprès du Prophète ﷺ et a dit : “ Ô Messager de Dieu ﷺ! Ne veux-tu pas te marier ? - Avec qui ? répondit Muhammad ﷺ - Je pense à une jeune fille qui ne s’est jamais mariée, et je pense à une veuve, déclara Khawla. - Qui est la jeune fille qui ne s’est jamais mariée ? demanda-t-il - La fille de la créature de Dieu qui t’es la plus chère, ‘Âicha bint Abî Bakr, lui dit-elle. - Et qui est la veuve ? - Sawda, la fille de Zam‘a. Elle croit en toi et suit tes enseignements, continua Khawla. - Va les voir et demande-les en mon nom toutes deux », lui dit. Elle alla donc chez Abû Bakr et dit: « Ô Umm Rumân ! Quelle bénédiction et quel bienfait Allah vous a comblé ! » Abû Bakr lui demanda ce qu’il y avait. Et Khawla que de répondre :« Le Messager de Dieu ﷺm’a envoyé afin de vous demander la main de ‘Âicha ». Abû Bakr demanda alors :« Est-ce possible alors qu’elle est la fille de son frère ?». Elle retourna donc voir le Prophète ﷺpour lui faire part de cette interrogation. Il répondit :« Retourne vers lui et dis-lui :je suis ton frère et tu es mon frère en islam. Il m’est donc permis de me lier à toi [en épousant ta fille]». En résumé, ce récit montre que le Messager de Dieu ﷺ fit sa demande auprès de ‘Âicha en même temps que pour Sawda. Cet événement se déroula durant la dixième année de la révélation, soit trois ans avant l’émigration vers Médine. Si nous considérons qu’elle avait 6 ans [lors de cette demande] comme l’avancent certaines sources, alors elle aurait 9 ans au moment de l’émigration médinoise. Or, son mariage eut lieu lors de la deuxième année après l’hégire, il nous apparaît alors évident qu’elle n’avait non pas 9 mais plutôt 11 ans. Ce raisonnement démontre donc qu’il est impossible qu’elle ait eu 9 ans lors de son mariage avec le Prophète ﷺ. Cette version qui affirme que le mariage eut lieu alors qu’ elle avait 9 ans s’avère donc être incohérente et non valide. Toutefois, si nous prenons en considération les autres récits sur ce sujet, il semble certain qu’elle avait bien plus de 6 ans lorsque le Messager de Dieu ﷺ la demanda en mariage. Or, les différents ouvrages de sîra concordent sur le fait qu’ils se marièrent cinq ans après leurs fiançailles.

13. Tentons maintenant de déduire l’âge de ‘Âicha en le comparant à celui de sa sœur Asmâ’. D’après toutes les sources, Asmâ’ avait dix ans de plus que ‘Âicha. Ces mêmes sources dissipent toute possibilité de divergence sur le fait que Asmâ’ soit née 27 ans avant l’épisode de l’émigration médinoise. Elle avait donc 14 ans en l’an 610, année durant laquelle eut lieu la révélation. Ce résultat, nous l’obtenons en soustrayant les 27 années (période qui s’étend entre la naissance de Asmâ’ jusqu’à l’émigration médinoise) aux 13 qui correspondent au nombre d’années de la révélation mecquoise : 27 - 13 = 14. Nous obtenons alors le résultat de 14 ans, qui correspond à l’âge qu’avait Asma au moment de la révélation. Toutes les sources sont unanimes sur le fait que ‘Âicha avait dix ans de moins que sa sœur Asmâ’. Elle avait donc 4 ans quand la révélation a commencé. Ainsi, ‘Âicha est née en l’an 606. Par conséquent, elle avait 14 ans quand le Prophète ﷺ l’a demandée en mariage. Or, comme nous le disions précédemment, selon les différentes narrations rapportées par les spécialistes de la sîra, ils se marièrent cinq ans après cette demande :‘Âicha aurait donc été âgée de 17 ou 18 ans lorsqu’elle s’est mariée.

14. Pour confirmer ce calcul, nous pouvons aussi aborder les choses sous un autre angle, en partant non pas de la date de naissance d’Asmâ’, mais de son décès. Les sources affirment sans possibilité de divergence qu’elle décéda après un événement majeur : l’assassinat de son fils ‘Abdallâh b. al-Zubayr en l’an 73 de l’hégire. Elle avait alors 100 ans. Afin de connaître son âge lors de l’émigration à Médine, nous pouvons soustraire l’âge qu’elle avait lors de son décès :100-73 = 27. Elle avait donc 27 ans lors de la grande émigration vers Médine. Cela correspond parfaitement à l’âge mentionné par les différentes sources historiques. En soustrayant la différence d’âge entre les deux sœurs, soit 10 ans, nous obtenons le résultat suivant : 27 - 10 = 17. D’après ce calcul, ‘Âicha avait 17 ans lors de l’émigration [vers Médine]. Puisqu’elle a épousé le Prophète ﷺ un an après l’hégire, elle devait alors avoir 18 ans à cette période (soit 17 + 1 = 18). Ceci vient étayer et confirmer les calculs qui prouvent l’âge qu’elle avait réellement lors de son mariage. Cet avis est renforcé par le fait qu’al-Tabarî affirme dans ses Chroniques que tous les enfants d’Abû Bakr sont nés durant la période préislamique. Et, en effet, ‘Âicha est bien née 4 ans avant le début de la révélation.

15. Exposons à présent certaines incohérence set défaillances du récit selon lequel ‘Âicha avait neuf ans lors de son mariage. En étudiant ce récit, nous pouvons relever qu’il a été rapporté selon quatre chaînes de transmission–qui comportent toutes un doute quant à la fiabilité de l’un des rapporteurs. Ces chaînes de transmission sont les suivantes : -D’après al-A‘mash, qui rapporte d’Ibrâhîm, qui rapporte d’al-Aswad, qui a rapporté de ‘Âicha. -Hishâm b. ‘Urwa rapporte de son père, qui rap-porte de ‘Âicha. -Al-Zuhrî, rapporte de ‘Urwa, qui rapporte de ‘Âicha. - Muhammad b. Bishr qui dit : Muhammad b. ‘Amr m’a rapporté et dit : « Abû Salama et Yahyâ m’ont rapporté ». Or, al-A‘mash était un escamoteur, tout comme al-Zuhrî. Muhammad b. ‘Amr est pour sa part un rapporteur [classé] faible (da‘îf). Quant à Hishâm b. ‘Urwa, il est dit de lui qu’il lui arrivait de se tromper, d’avoir une mauvaise mémoire et d’être, lui aussi, un escamoteur. D’ailleurs, l’imam Mâlik n’acceptait pas de lui les récits qu’il a rapportés suite à son voyage en Irak.

Un escamoteur, mudallis, est un rapporteur de hadith qui omet volontairement le nom de celui qui lui a rapporté le hadith et cite le nom de l’enseignement de celui qui a été omis. Les savants du hadith considèrent qu’il y a ici un manque d’honnêteté intellectuelle. Un tel comportement est donc considéré incompatible avec la nécessité de l’honnêteté parfaite des rapporteurs des hadiths jugés authentiques.

Notons d’ailleurs, que tous ceux qui ont rapporté ce récit de Hishâm provenaient d’Irak ou y avaient voyagé : Jarîr a grandi à Koufa ; Abda b. Sulaymân : Koufa ; Sufyân b. ‘Uyayna : Koufa ; Abû Mu‘âwiya : Koufa ; Abû Usâma : Koufa ; Wakî‘ : Koufa ; Yahyâ b. Hâshim : Bagdad et Koufa ; Hammâd b. Salama : Bassora ; Ja‘far b. Sulaymân : Bassora ; Hammâd b. Zayd : Koufa ; Wuhayb b. Khâlid : Bassora ; Abân al-‘Attâr : Bassora ; Yûnus b. Bukayr : Koufa ; Ismâ‘îl b. Zakariyyâ : Koufa ; ‘Abda b. Sulaymân : Koufa Ils étaient donc tous originaires d’Irak ou avaient voyagé là-bas, à l’exception d’un rapporteur médinois, ‘Abd al-Rahmân b. Abî al-Zinâd qui était aussi un rapporteur faible. Pourquoi n’y a-t-il alors aucune chaîne de transmission fiable parmi toutes celles-ci ? Où sont les rapporteurs fiables et les savants de Médine ? Est-il possible qu’aucun d’entre eux n’a entendu Hishâm rapporter ce hadith alors qu’il a longtemps vécu à Médine lui-même ? Aussi, comment ignorer que l’imam Shâfi‘î refusait de prendre en compte les récits escamotés et que l’imam Mâlik récusait les récits post-irakiens de Hishâm ? N’est-il pas concevable de penser que ces rapporteurs (qui avaient, rappelons-le, l’habitude d’escamoter ou de dissimuler des hadiths) auraient tous rapporté ce hadith après l’avoir entendu d’une seule et même personne, un élève de leur professeur et qu’ils auraient donc omis en rapportant le hadith et sa chaine de transmission ? Dans les chaînes de transmission qu’ils ont rapportées, il manque systématiquement une personne. N’est-il pas possible que chacun d’entre eux ait entendu ce hadith de la bouche d’une personne connue pour mentir et qu’ils auraient alors rapporté ce hadith en l’attribuant directement à leur professeur sans intermédiaire entre lui et eux, en dissimulant le nom de ce menteur ?

16. L’imam al-Bukhârî dit : « Ibrâhîm b. Mûsâ nous rapporte de Hishâm b. Yûsuf qui nous rapporte qu’Ibn Jurayj les informa que Yûsuf b. Mâhak a dit : Alors que j’étais auprès de ‘Âicha, la mère des croyants nous dit : « Alors que j’étais enfant et que je jouais aux côtés du Prophète ﷺ, il reçut une révélation : « Mais leur vrai rendez-vous sera l’Heure du Jugement Dernier. Et cette heure-là sera bien plus douloureuse et bien plus amère ! » » Le résumé de ce récit provient du hadith rapporté par l’imam al-Bukhârî que l’on retrouve dans le chapitre des vertus du Coran dans une version bien plus longue. Ce verset fut révélé 7 années avant la bataille de Badr (lors de la 8e année post-révélation). Or, dans le récit rapporté par l’imam al-Bukhârî, ‘Âicha était une enfant. Quand fut révélé ce verset ? Et où ? Au sujet de ce verset : « leur rassemblement sera bientôt mis en déroute et ils fuiront» (54 :45), al-Qurtubî dit :« Sa‘îd b. Jubayr rapporte de Sa‘d b. Abî Waqqâs :« Lorsque fut révélé le verset du Coran (54 :45), je ne savais pas quel rassemblement serait mis en déroute. Lorsque le jour de la bataille de Badr arriva, j’aperçus le Prophète ﷺ s’emparer de son armure en disant :« Ô mon Dieu, Quraysh est venu avec tout son orgueil et son arrogance afin de Te combattre Toi et Ton Prophète ﷺ, détruis-les ! ». Sa‘d b. Abî Waqqâs ajoute que c’est à ce moment qu’il comprit l’exégèse de ce verset. Cela faisait partie des miracles du Prophète ﷺ car il avait évoqué des événements qui ne s’étaient pas encore déroulés. D’après Ibn ‘Abbâs, il s’écoula 7 années entre la révélation de ce verset et la bataille de Badr. Ce verset a donc été révélé à la Mecque. Par conséquent, 7 ans avant Badr alors que ‘Âicha était déjà une petite fille. Ce qui est incompatible avec le fait qu’elle aurait eu 9 ans lors de son mariage qui eut lieu peu avant ou peu après Badr. En effet, comment aurait-elle pu se souvenir avec une telle précision de la révélation de ce verset si elle n’avait eu 2 ans à ce moment-là ? Nous avons ainsi présenté l’ensemble des arguments de cette étude portant sur l’âge de la Mère des Croyants ‘Âicha, au moment de son mariage avec le Prophète ﷺ. Dieu est bien sûr, seul le plus savant.

Conclusion

D’après tout ce que nous avons avancé comme arguments, nous ne pouvons que réfuter la thèse selon laquelle ‘Âicha était encore enfant lorsqu’elle se maria au Prophète ﷺ. Nous pouvons affirmer qu’elle avait très probablement entre 15 et 16 ans avec une marge d’une ou deux années de plus ou de moins tout au plus. La plupart de nos arguments reposent sur des analyses rationnelles et logiques, tandis que d’autres s’appuient sur des considérations réalistes, qui ne sont pas moins probantes. C’est le cas par exemple de la façon dont s’est déroulé son mariage ou encore de sa participation à la bataille de Uhud. Néanmoins, malgré tous ces arguments, beaucoup de personnes resteront encore attachées au récit avançant qu’elle se maria à 9 ans. Ceux-ci sont répartis en 3 catégories. La première regroupe les personnes qui veulent à tout prix ternir la religion musulmane. Ils mettent tout en œuvre pour nuire à la personnalité du Prophèteﷺ et exploitent toutes les occasions et récits possibles pour y parvenir. D’ailleurs, ils ne montreront aucun intérêt à notre analyse exposée ici puisqu’ils ne recherchent pas la vérité. En revanche, les deux autres catégories regroupent des musulmans. D'abord, il y a ceux qui se cramponnent aux enseignements qu’ils ont reçus lors de leur enfance ou de leur adolescence. En effet, ils ont beaucoup de mal à accepter un avis allant à l’encontre de ce qu’ils ont appris ou de ce qu’ils croient. Ensuite, viennent les personnes ayant étudié et appris sur un mode traditionnel et qui éprouvent une certaine difficulté à remettre en cause ou rejeter un récit issu d'un hadith présent dans les recueils authentiques. Ces deux dernières catégories déploient énormément d’efforts pour justifier leur position selon laquelle ‘Âicha avait 9 ans lors de son mariage. Ils se justifient par le fait que les filles de la péninsule arabique atteignaient l’âge de la puberté très tôt à cause des fortes chaleurs. Leur argumentation est infondée et leurs efforts resteront vains. D’ailleurs, nous pouvons leur poser la question suivante (toujours dans le contexte d’âge d’adolescence) : cela implique t-il alors que ces mêmes filles atteignaient l’âge de la ménopause plus tôt ? Comment expliquer alors que Khadîja donna naissance à 6 enfants en se mariant à 40 ans ? Encore une fois, nous nous en remettons à Dieu, Il est seul le plus savant

Bibliographie :

- Histoire de Damas, Ibn ‘assâkir, édition de l’académie des lettres de Damas, version arabe non traduite - Tabaqât Al-koubrâ, Ibn sa’d, version non traduite - Muhammad, ibn ishâq, éditions Al-Bouraq - Recueil de l’imam Ahmad - La biographie du Prophète, Ibn Hishâm, édition Dar El-Manar - Sahîh de l’imam al-Bukhârî, édition Al-Maktaba Al-Asriya (version arabe/francais)