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Le Mawlid

Dans cet article, vous découvrirez notre positon sur le Mawlid, en quoi il consiste, son histoire et un résumé de la fatwa de Suyutî à ce sujet.

Depuis plusieurs jours, nous sommes dans le mois de Rabî‘ al-Awwal, celui que Dieu a choisi pour faire naître le plus noble des êtres humains, la meilleure des créatures, le Prophète Muhammad ﷺ. À cette occasion, nous commémorons sa naissance ainsi que les autres événements ayant eu lieu durant ce mois. En effet, c’est le mois où le Messager de Dieu ﷺ a reçu la révélation (selon beaucoup d’historiens), celui où il a fait l’Hégire, mais également celui où il est décédé, retournant ainsi à son Seigneur. Cette commémoration, suivie par des centaines de millions de musulmans, est nommée plus communément le Mawlid, en référence au plus joyeux de ces événements : la naissance du Messager de Dieu ﷺ.

 

Qu’est-ce que le Mawlid ?

 Dans les milieux savants, la tradition quant à la célébration du Mawlid consiste en la lecture d’une œuvre portant sur la vie du Prophète ﷺ. Depuis les premiers siècles de l’islam,  certains savants se regroupent dans la maison où le Prophète ﷺ est né à La Mecque, et lisent des livres décrivant les traits de caractères du Prophète ﷺ  (ou shamâ’il). Des chaînes de transmission ainsi que des rapports des majâlis (tibâq al-samâ‘) attestent ce fait.

 En effet, depuis les premiers temps de l’Islam, la maison de naissance du Prophète  ﷺ est un lieu où certains pieux se rendent pour prier individuellement. A ce sujet, il est connu qu’al-Khayzurân (m. 785), la mère du calife abbasside Hârûn al-Rashîd, s’est approprié la maison natale du Prophète ﷺ  dans ce but. 

 Toutes sortes de rédactions scientifiques dédiées à la vie du Prophète ﷺ sont apparues avec le temps, notamment les poésies ou proses stylistiques, retraçant sa vie et destinées à la mémorisation auprès du public. Quelques axes essentiels constituent le plan commun de ces œuvres : la présentation de la famille du Prophète ﷺ avant sa naissance, la description de sa naissance et les événements miraculeux qui auraient eu lieu à ce moment, la présentation succincte de sa vie personnelle, la description de son caractère, la description de son physique (corporel et vestimentaire) et la présentation de sa lignée généalogique. Ces livres, intitulés livres de Mawlid, forment toute une littérature dans la science de l’étude de la vie du Prophète ﷺ.

 Il est rapporté que les majâlis (assises) scientifiques publiques de Mawlid sont des majâlis de sciences et de belles lettres. De nombreux musulmans de tous types y assistent afin d’apprendre les détails de la vie du Bien-aimé ﷺ et les convenances des savants. C’est ainsi que les anciennes générations, notamment dans les capitales scientifiques du monde musulman,  se transmettaient  les détails de la vie du Prophète ﷺ, afin d’accroître et renforcer leur amour pour lui. 

 Malheureusement, certains musulmans ont développé des dérives qu’ils pratiquent à l’occasion de cet événement, dérives que nous n’approuvons évidemment pas.  L'amour du Prophète ﷺ ne doit jamais devenir une quelconque adoration. Entre l’ignorance totale du Mawlid et les dérives apparentes, nous prenons une position médiane, enseignée par les savants sunnites depuis des siècles. Celle-ci se traduit par des assemblées scientifiques et pédagogiques pour transmettre les enseignements du Prophète ﷺ à tous.

 

Quelle est l’origine du Mawlid ?

 

Le cheikh ‘Abd al-Ḥayy al-Kattānī (m.1962), grand savant du hadith marocain, a publié un livre nommé al-Ta’âlîf al-mawlidiyya où il répertorie les rédactions des livres de Mawlid. Selon ses consultations, la plus ancienne œuvre de Mawlid vient de l'imam al-Shaybâni (m. 900) aussi connu sous le nom d’Ibn Abi ‘Âsim, qui est un érudit irakien particulièrement connu pour son travail dans le domaine de la science du hadith. Malheureusement, son œuvre est aujourd’hui perdue.

Cependant, la tradition de célébrer officiellement la naissance du Prophète ﷺ n’existait pas. Ce n’est qu’au XIIe siècle de l’ère chrétienne que le Mawlid s’instaure comme commémoration collective à La Mecque, distincte des commémorations intimes déjà existantes. Cette transition du secteur privé au secteur public s’explique par divers facteurs : l’augmentation des conversions à l’islam et l’urbanisation rapide développée dans l’empire islamique, en particulier à partir du IXe siècle. Les changements sociaux progressifs qui ont été signalés ont entraîné, avec le temps, une augmentation notable du nombre de visiteurs qui se rendaient à la maison du Prophète ﷺ, ouverte au public toute la journée. Les savants de cette époque ont longuement débattu de l’apparition de cette commémoration, mais finalement,  la majorité d’entre eux a retenu qu’elle est une innovation juridiquement défendable, car ils considèrent qu’elle appartient à la catégorie des innovations jugées louables. En effet, ceux-ci y voyaient notamment un moyen de contrer et  d’éradiquer des innovations plus graves qui commençaient à se démocratiser chez les musulmans, comme la célébration de la naissance de Jésus ou d’autres fêtes chrétiennes.

 Historiquement, il est établi que des célébrations du Mawlid existent déjà sous le règne de l'Émir de Damas et d'Alep, Nûr al-Dïn Mahmûd Zenki — al-Malik al-'Âdil — (m. 1174), connu pour être le prédécesseur de Saladin. Il existe aussi des commémorations dans divers endroits de Syrie et d’Irak comme à Mossoul et Irbil entre 1150 et 1200. C'est d’ailleurs à Irbil, sous le règne d'al-Malik al-Muzaffar al-Dîn Kôkbûrî, vassal de Saladin,  qui accède au pouvoir en 1190, que le Mawlid s'uniformise sous les traits sunnites, se distinguant ainsi du Mawlid instauré à la même époque en Egypte par les Fatimides, une dynastie chiite. Quand les Ayyûbides prennent le pouvoir aux Fatimides, ils célèbrent à leur tour le Mawlid à la cour du Caire. Cette commémoration sunnite est à la fois une cérémonie officielle dont l'étiquette est réglée par le prince, et une fête populaire qui attire les visiteurs de plusieurs villes comme Mossoul, Nisâbîn, Bagdad, etc. C’est le prince qui l'organise avec l'appui des cercles mystiques locaux. Ce qui explique peut-être que le premier manuscrit parlant du Mawlid qui nous est parvenu vient du grand savant hanbalite ‘Abd al-Qâdir al-Jilâni, qui a vécu la majorité de sa vie à Bagdad (m.1166). 

 Finalement, le Mawlid se propage très vite dans l'Occident musulman. On retrouve le deuxième manuscrit parlant du Mawlid al-Durru al-munaẓẓam fi al-mawlidi al-mu‘aẓẓam sous la plume du savant malikite ‘Abû  al-‘Abbās al-‘Azafī de Ceuta (m. 1235). L’auteur est confronté à une problématique spécifique de son temps:  la célébration des fêtes chrétiennes de Noël (al-Mīlād), le Nouvel an (Yinnīr) et Saint-Jean (d’al-‘Anṣarah), par les Andalous et les gens de Ceuta, ce qu’il désapprouve fortement. En effet, l’institution de telles célébrations chez les musulmans peut pousser à de nombreuses dérives. Il écrit donc ce livre afin de consolider la pratique du Mawlid an-Nabawī. Son ouvrage  a une influence importante dans le Maghreb et l’Andalousie, légitimant et renforçant ainsi cette commémoration ancrée dans l’histoire des musulmans et le souvenir du Prophète Muhammad  ﷺ.

Un siècle plus tard, le grand savant andalou malikite Ibn Abbad de Ronda (m. 1390) appuit cette initiative dans son ouvrage Rasâ’il al-kubrâ où il donne une fatwa célèbre. Cette dernière est la plus importante de l’époque à ce sujet et est reprise de nombreuses fois, y compris dans le commentaire du Mukhtasar de Khalîl (œuvre maîtresse de l’école de droit malikite). D’ailleurs, elle devient la fatwa de référence chez les savants malikites par la suite. Son argumentaire peut se résumer ainsi : le Mawlid ne peut être qu’un moment de joie car la naissance du Prophète  ﷺ ne peut procurer au musulman que du bonheur. Dès lors, tout ce qui nous permet d’exprimer cette joie, fait partie de ce qui est autorisé. Magnifier la naissance du Prophète  ﷺ est donc une bonne chose. 

 

L’historique du Mawlid étant désormais complété, nous vous partageons l’argumentaire de la fatwa de Jalâl al-Dîn al-Suyûtî (m.1505), savant égyptien, reconnu aujourd'hui comme un des auteurs les plus prolixes de toute la littérature musulmane, et qui excella dans la plupart des sciences islamiques. Pourquoi lui ? Car il fut doté d’une immense érudition dans un premier temps et est encore aujourd’hui connu et reconnu pour sa science. De plus, sa fatwa est d’une grande richesse et elle est souvent citée en la matière. Par ailleurs, il fut surtout un amoureux du Prophète ﷺ, qui a voulu introduire cet amour dans le cœur des musulmans, fondement parfois oublié de la foi du croyant. La défense de la célébration du Mawlid n'est donc pour Suyutî qu'une façon parmi d'autres d'orienter les cœurs vers la Lumière du Messager  de Dieu  ﷺ. Dans un hadith, le Prophète  ﷺ aurait déclaré : 

« Il fut écrit dans la Mère du Livre qui se trouve auprès de Dieu, que je suis le Sceau des prophètes, alors qu'Adam était encore de l'argile étendue au sol. Je vais vous donner l'interprétation de cela : Je suis la réponse à l'imploration d'Abraham et la bonne nouvelle annoncée par Jésus. C'est aussi cela le sens de la vision qu'a eue ma mère lors de ma naissance, lorsqu'elle vit une lumière sortir d'elle et éclairer les châteaux du Bilad al-Sham. [Je suis la lumière] que virent toutes les mères mettant au monde un enfant destiné à devenir Prophète  ﷺ. »

(D'après ‘Arbâd b. Sâriya, rapporté notamment par al-Hâkim al-Nïsâbûrî, qui le juge acceptable)

  L’argumentaire de Suyûtî se résume ainsi : le Mawlid  est une innovation louable (bid‘a hasana). Les arguments opposés à cette pratique ne concernent que des dérives. La véritable célébration du Mawlid est une commémoration de la naissance du Messager de Dieu  ﷺ. 

 Puisque la commémoration du Mawlid est une innovation, Suyûtî revient  sur cette notion en guise de préambule. Il s'appuie sur la définition qu'en donne le célèbre Nawawî (m.1277) qui distingue la bonne innovation de l'innovation blâmable. En outre, les  arguments invoqués par Suyûtî pour montrer que nous avons affaire à une innovation louable ayant des appuis scripturaux sont les suivants :

- Questionné sur la raison pour laquelle il jeûnait chaque lundi, le Prophète ﷺ répondit que ce jour est celui où il était né.

- Abû Lahab, oncle paternel et ennemi acharné du Prophète  ﷺ, verra son châtiment allégé en Enfer le lundi, pour s'être réjoui de la naissance du Prophète  ﷺ. Si donc Abû Lahab, mécréant notoire qui est condamné par le Coran, a obtenu une récompense - bien qu'il soit en Enfer - pour s'être réjoui de la naissance du Prophète  ﷺ, qu'en sera-t-il du musulman qui fait partie de sa communauté et qui exprime sa joie et son amour par la commémoration de sa naissance ?

  Suyutî enrichit la défense du Mawlid en ajoutant un argument qui a échappé à ses prédécesseurs (selon ses dires) :

«J'ai trouvé un autre fondement à la pratique du Mawlid qui est mentionné par Bayhaqî. Ce dernier rapporte selon Anas : “Le Prophète ﷺ a accompli la ‘aqîqa pour lui-même après le début de la mission prophétique.”  Nonobstant le fait que l'on rapporte que son grand-père, 'Abd al-Muttalib, lui a coupé les cheveux sept jours après sa naissance et que la ‘aqîqa ne doit pas être réalisée une seconde fois. On comprend que le Prophète  ﷺ a accompli cela afin de mettre en évidence sa reconnaissance envers Dieu de l'avoir envoyé comme miséricorde pour les mondes et pour honorer sa communauté. »

 Pour Suyutî, comme pour les savants sur lesquels il s'appuie, le sens de la commémoration du Mawlid est izhàr al-shukr, c’est-à-dire manifester sa joie et rendre grâce à Dieu pour avoir envoyé le Prophète ﷺ comme dernier messager du ciel et miséricorde pour les mondes. Afin d'éviter les excès blâmables, Suyutî décrit même les modalités par lesquelles cette joie doit s'exprimer.

  Nous tenons à remercier le Dr. Abû Zakariyyâ al-Husaynî, recteur de l’institut shâfi’î, pour ses nombreux conseils lors de l’écriture de cet article.