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Est-il vrai que le Prophète ﷺ a fait exécuter des centaines de personnes à la suite du siège du quartier des Banû Qurayza ?

La polémique autour des Banu Qurayza expliquée (article de la revue Miséricorde 3).

En l’an 5 de l’hégire, les musulmans de Médine furent la cible d’une coalition dirigée par Quraysh et rassemblant plusieurs autres tribus qui, afin de mettre un terme à l’influence grandissante de l’islam dans la péninsule arabique et pour en finir définitivement avec le Prophète Muhammad ﷺ, formèrent une armée de dix mille combattants et assiégèrent Médine. Désavantagés par leur faible nombre, les musulmans adoptèrent une stratégie consistant à creuser un fossé barrant la principale entrée de la ville, celle située au Nord. Cette stratégie se révéla efficace puisque la bataille prit fin avec le retrait des troupes coalisées après un mois de siège. Durant cette bataille, connue sous le nom de bataille des Coalisés ou bataille du Fossé, l’une des principales tribus juives de Médine, les Banû Qurayza, s’allia à la coalition mecquoise ennemie, brisant ainsi le pacte d’assistance mutuelle qu’elle avait conclu auparavant avec le reste des tribus de Médine. Ce pacte d’assistance mutuelle était l’une des clauses de la Constitution de Médine, qui sous l’impulsion du Prophète ﷺ, avait permis d’unifier les différentes communautés médinoises. Le siège des Banû Qurayza, qui eut lieu immédiatement après la bataille des Coalisés en réponse à l’acte de haute trahison des Banû Qurayza, et plus particulièrement l’exécution des combattants de cette tribu, fait l’objet de discussions encore de nos jours, certains affirmant que des centaines, et même des milliers de personnes auraient été exécutées par les musulmans. Cette étude, réalisée par les chercheurs du Centre de Recherche et d’Études de la ville de Médine, avec lequel l’Institut SIRA est partenaire, a pour objectif d’apporter une réponse à cette question du nombre de personnes ayant été exécutées, ainsi que de mettre en lumière les circonstances entourant le jugement qui fut réservé aux Banû Qurayza à la suite de cette trahison. En l’an 5 de l’hégire, se déroula la bataille des Coalisés. Après un mois de siège, la coalition de dix mille combattants menée par les Mecquois leva le siège de Médine, et les différentes armées des tribus de la coalition rentrèrent chez elles sans succès. Ladite bataille des Coalisés fut immédiatement suivie par le siège du quartier des Banû Qurayza. Il s’agit d’une tribu juive de Médine qui, durant le siège de la ville, avait trahi le pacte d’assistance mutuelle qui la liait au reste des Médinois, rejoignant ainsi le camp de la coalition mecquoise. Notre article portera sur ce sujet, et s’intéressera plus particulièrement au bilan humain de ce siège, qui constitue un sujet de divergence pour de nombreux auteurs. Nous nous demanderons pourquoi le Prophète ﷺ a assiégé les Banû Qurayza. Combien d’hommes comptait l’armée de cette tribu ? Combien de personnes ont été tuées durant et après cette bataille ? De quelle manière ont-elles été tuées ? Par qui et où leurs corps ont-ils été ensevelis ? Avant de nous intéresser à ces questions qui constitueront le cœur de cette étude, commençons par analyser les rapports que les musulmans entretenaient avec les tribus juives de Médine. Nous étudierons ensuite la loi qui fut appliquée pour juger les combattants à l’issue de cette bataille. MUSULMANS ET JUIFSÀ MÉDINE Quel rapport entretenaient les musulmans et les tribus juivesà Médine ? Quand le Prophète ﷺ arriva à Médine, il posa les bases de l’État de droit qui allait constituer le ciment de la société médinoise, à travers le Pacte citoyen de Médine. L’aboutissement de cette véritable constitution écrite demanda une longue période de temps, comme le nécessite la négociation de tout traité établi entre plusieurs parties. Ces négociations commencèrent immédiatement après l’Hégire, lors du séjour du Prophète ﷺchez les Banû ‘Amr b.‘Awf à Quba’, et ne se terminèrent que peu avant la bataille de Badr, presque deux ans après l’Hégire. En ce qui concernait les relations entre musulmans et juifs, le traité se fonda en premier lieu sur la relation entretenue avec les juifs du clan des Banû ‘Awf, pour ensuite la définir comme matrice des relations entre les musulmans et les autres clans juifs de Médine. Dans chacune des clauses qui traitent de cette question se répète la même expression : « À l’instar des juifs des Banû ‘Awf», suivie du nom du clan en question. Or, comme nous le disions plus haut, les Banû ‘Awf habitaient Qubâ’ et leur clan est le premier clan avec lequel le Prophète ﷺ fut en contact lors de son arrivée à Médine. Le traité commence par définir les relations entre musulmans, puis explicite les relations entre les musulmans et les juifs des Banû ‘Awf, et enfin, il adjoint les différents clans selon l’ordre dans lequel ils se sont successivement associés à la nouvelle communauté médinoise en signant le pacte. En regardant de plus près, il apparaît d’ailleurs que le document cite les Aws en premier lieu puis les Khazraj, ce qui donne peut-être une indication sur la chronologie de l’établissement de ce pacte. Quelques clauses du traité : - Les juifs et les croyants sont solidaires de leurs dépenses en temps de guerre. - Les juifs des Banû ‘Awf forment avec les croyants une communauté. Les juifs et les musulmans disposent chacun de leur propre religion, de leurs propres administrés, et de leurs personnes. Ces droits sont inaliénables si ce n’est en ce qui concerne celui qui est injuste ou fautif. Ce dernier ne nuit alors qu’à sa propre personne et qu’aux siens. - À l'instar des juifs des Banû ‘Awf, les juifs des Banû al-Najjâr se joignent à ce traité selon les mêmes dispositions. - À l'instar des juifs des Banû ‘Awf, les juifs des Banû al-Hârith se joignent à ce traité selon les mêmes dispositions. - À l'instar des juifs des Banû ‘Awf, les juifs des Banû Sâ‘ida se joignent à ce traité selon les mêmes dispositions. - À l'instar des juifs des Banû ‘Awf, les juifs des Banû Jashm se joignent à ce traité selon les mêmes dispositions. - À l'instar des juifs des Banû ‘Awf, les juifs des Banû al-Aws se joignent à ce traité selon les mêmes dispositions. - À l'instar des juifs des Banû ‘Awf, les juifs des Banû Tha‘laba se joignent à ce traité selon les mêmes dispositions, si ce n’est celui qui est injuste ou fautif. Ce dernier ne nuit alors qu’à sa propre personne et qu’aux siens. - Les alliés du clan des Banû Tha‘laba leur sont égaux.

Ce traité et les clauses qui l’accompagnent sont bien connus des spécialistes. En effet, l’imam al-Shâfi‘î a affirmé qu’il ne connaissait pas un seul savant spécialisé dans la vie du Prophète ﷺ qui remette en doute l’institution par le Prophète ﷺ d’un traité avec les juifs dès son arrivée à Médine, sans qu’il ne fut imposé à ceux-ci de payer la jizya. De même, Ibn Taymiyya a dit que ce sujet était si connu parmi les savants qu’il relève du domaine de la certitude. Se pose alors une question : pourquoi le document ne cite-t-il pas explicitement les trois grandes tribus juives de Médine, à savoir les Banû Qaynuqa‘, les Banû al-Nadir, et les Banû Qurayza ? En réalité, le pacte fait référence à ces tribus de deux manières. D’abord, le document cite les juifs de manière générale, incluant par conséquent ces trois tribus. Ensuite, ces trois tribus étaient déjà alliées à des tribus membres de ce pacte, et de cette manière elles étaient rattachées à ce pacte. Les Banû al-Nadîr et les Banû Qurayza étaient les alliés des Aws et le document fait référence à eux à la fois de manière explicite et implicite. Pour ce qui est de la référence explicite, elle est contenue dans les deux clauses suivantes :

- « Les juifs des Banû ‘Awf forment avec les croyants une communauté. » - « Les juifs et les musulmans disposent chacun de leur propre religion, de leurs propres administrés et de leurs personnes [ces droits sont inaliénables]si ce n’est celui qui est injuste ou fautif. Ce dernier ne nuit alors qu’à sa propre personne et qu’aux siens. » Le document continue en citant les clans un par un, puis reprend avec une référence implicite et générale : « À l'instar des juifs des Banû ‘Awf, les juifs des Banû al-Aws se joignent à ce traité selon les mêmes dispositions.» Par la suite, le document mentionne explicitement les différents clans des Aws, indiquant par là que certains clans des Aws s’étaient eux-mêmes convertis au judaïsme, tandis que d’autres clans médinois juifs étaient leurs alliés ou leur devaient allégeance. Le document stipule en effet : « Les juifs des Aws se joignent, ainsi que leurs alliés et ceux qui leur doivent allégeance, à ce traité, avec les parfaites garanties du respect des signataires de ce traité. À cela, ils s’enga-gent dans le bien, et sans violations ni fautes. Nul fautif ne nuira si ce n’est à lui-même, et Dieu est témoin de ce traité et de ce qu’il contient de meilleur. » Quant aux Banû Qaynuqâ‘, ils étaient alliés aux Khazraj. Le document les cite dans plusieurs clauses successives après avoir mentionné les clans juifs des Aws. Le traité précise ainsi les clans dont est composée la tribu des Khazraj : les Banû al-Najjâr, les Banû al-Hârith, les Banû Sâ‘ida, les Banû Jashm et les Banû Tha‘laba. Ce pacte, aussi appelé par les spécialistes modernes de la sîra « Constitution de Médine », atteste clairement des rapports d’entente instaurés entre les musulmans et les tribus et clans juifs de Médine. Ils étaient tous, en tant qu’habitants de la ville, unis dans le cadre de l’État de droit de Médine, qu’ils se devaient tous de défendre et protéger.

Quelles sont les lois appliquéesà Médine ? Les lois juives ou les lois musulmanes ? La Constitution de Médine énonce clairement que « les juifs ont leur religion et les musulmans ont la leur ». Le Prophète ﷺ a ainsi garanti aux juifs une entière indépendance en ce qui concerne leur foi, leurs lois et leurs règlements. Cet aspect est un élément essentiel à la com-préhension des événements qui se déroulèrent par la suite en relation avec les tribus juives, notamment les Banû Qaynuqâ‘, les Banû al-Nadîr et les Banû Qurayza. En effet, tout litige les concernant était réglé par l’application de leurs propres lois, conformément au Pacte de Médine. Ce récit d’al-Bukhârî en est un exemple : « Ibn ‘Umar rapporte qu’un homme et une femme juifs ayant commis l’adultère furent amenés au Prophète ﷺ. Ce dernier demanda alors quel sort était réservé aux personnes commettant cet acte selon la religion juive. On lui répondit qu’elles devaient être “couvertes d’opprobre et bannies”. Le Prophète ﷺdemanda à consulter la Torah pour confirmer cette règle religieuse : “Apportez la Torah et lisez-la. Je veux savoir si ce que vous dites est vrai.” Ils apportèrent donc la Torah et, lorsque l’un des leurs se mit à lire le texte traitant du châtiment réservé à l’adultère, le Prophète ﷺremar-qua qu’il occultait une partie du texte avec sa main. Il demanda alors à l’homme de la retirer. La partie du texte que celui-ci tentait de cacher ordonnait la lapidation en châtiment de l’adultère. L’homme dit au Prophète ﷺ : “Ô Muhammad, l’adultère est sanctionné par la lapidation, mais c’est quelque chose que nous cachons.” Le châtiment fut donc appliqué, conformément à la loi de la Torah.»

Quelle était la loi appliquée lorsqu’il y avait un conflit entre un musulman et un juif ? Le Prophète ﷺs’appuyait sur les principes énoncés dans la Constitution de Médine pour interagir avec les tribus juives, en faisant preuve de bienveillance et de justice, comme l’illustrent les deux exemples suivants. LE REFUS DES DISCRIMINATIONS RELIGIEUSES Al-Bukhârî rapporte le hadith suivant : « Un musulman et un juif s’insultèrent. Le musulman jura alors : “Par Celui qui a préféré Muhammad au reste des êtres des mondes !” Ce à quoi, le juif répliqua :“Par Celui qui a préféré Moïse au reste des êtres des mondes !”Sur ce, le musulman leva la main et gifla le juif. Ce dernier alla trouver le Prophète ﷺ et se plaignit de l’incident. Le Prophète ﷺdit alors : “Ne me préférez pas à Moïse, car, le Jour de la Résurrection, les gens seront foudroyés et je le serai aussi, et je serai le premier à être ressuscité. Moïse sera alors bien accroché au Trône et je ne saurai s’il est de ceux qui étaient foudroyés et ont été ressuscités avant moi, ou de ceux que Dieu a épargnés.” » L’APPLICATION IMPARTIALE DE LA JUSTICE SANS DISTINCTION DE RELIGION ENTRE JUIFS ET MUSULMANS Selon l’exégète al-Tabarî, ce verset à travers lequel Dieu s’adresse au Prophète ﷺ : « Nous t’avons révélé le Coran, ce message de vérité afin que tu puisses juger entre les hommes d’après ce que Dieu t’aura enseigné. Ne prends donc jamais sur toi de défendre les scélérats ! » (4 : 105) fut révélé au sujet d’un homme médinois nommé Tu‘ma b. Ubayriq, du clan des Banû Dhifr b. al-Harith. Cet homme, un musulman, avait dérobé un bouclier appartenant à son voisin nommé Qutâda b. Nu‘mân. Afin de commettre son larcin, il avait dissimulé ce bouclier dans un sac plein de farine. Malheureusement pour lui, le sac était troué, laissant la farine se répandre et marquer ses pas. Quand il s’en aperçut alors qu’il était déjà arrivé chez lui, il se rendit devant la demeure d’un homme juif, connu sous le nom de Zayd b. al-Samîn, et y plaça le sac contenant le bouclier. Les propriétaires réclamèrent d’abord l’objet à Tu‘ma, après avoir suivi les traces de farine qu’il avait laissées sur son chemin. Mais il nia les faits et s’écria tout en jurant : « Je ne l’ai point vu et je ne sais rien à ce sujet !» Ils continuèrent alors leurs recherches et, guidés par les traces de farine, se dirigèrent vers la maison de l’homme juif où ils trouvèrent leur bien. Accusé à tort, l’homme rétorqua avoir obtenu l’objet des mains de Tu‘ma b. Ubayriq. Les membres du clan de Tu‘ma se rendirent chez le Prophète ﷺ pour lui faire part de l’événement. Ils lui dirent : « Si tu ne juges pas avec justice, notre compagnon [Tu‘ma] sera accusé d’être un perfide.» Le Prophète ﷺprit alors la décision de punir l’homme juif, le pensant coupable. C’est dans ce contexte que Dieu révéla le verset suivant à Son Messager ﷺ: « Nous t’avons révélé le Coran, ce message de vérité afin que tu puisses juger entre les hommes d’après ce que Dieu t’aura enseigné. Ne prends donc jamais sur toi de défendre les scélérats !» (4 : 105). À la suite de cette révélation, le juif fut publiquement innocenté et Tu‘ma fut déclaré coupable. L’APPLICATION D’UNE JUSTICE IMPARTIALE SANS DISTINCTION DE RANG OU DE STATUT SOCIAL PARMI LES JUIFS EUX-MÊMES Avant l’avènement de l’islam, les différents clans juifs de Médine et d’Arabie étaient hiérarchisés et les lois communes à tous ne s’appliquaient pas de la même manière : elles dépendaient du statut et de la tribu de chacun. Ibn ‘Abbâs rapporte ainsi : « Les Banû Qurayza et les Banû al-Nadîr étaient deux tribus juives de Médine. Les Banû al-Nadîr avaient la préséance sur les Banû Qurayza. En conséquence, si un homme des Banû Qurayza tuait un homme des Banû al-Nadîr, il était exécuté en retour, tandis que si un homme des Banû al-Nadîr tuait un homme des Banû Qurayza, il payait le prix du sang qui faisait 100 wasq de dattes.»

Après l’avènement du Prophète ﷺ, un homme des Banû al-Nadîr tua un homme des Banû Qurayza. Ceux-ci voulurent l’exécuter en retour, mais les Banû al-Nadîr demandèrent l’arbitrage du Prophète ﷺqui jugerait de la situation [selon la Constitution de Médine qui stipule que tout litige juridique doit être tranché par le Prophète ﷺen sa qualité de chef de l’État de Médine]. Le verset suivant fut donc révélé : « Mais si tu les juges, fais-le donc en toute équité !» (5 : 42) Or, l’équité devait se traduire, selon le contexte, par la mise en œuvre du principe « œil pour œil, dent pour dent. » Après cet événement, Dieu révéla : « Regretteraient-ils les sentences rendues au temps de la période païenne ? Mais qui donc est meilleur juge que Dieu pour un peuple qui a foi en Lui ? » (5 : 50) Une autre version de cet épisode est rapportée dans un autre hadith en guise de commentaire au verset suivant : «S’ils [les juifs de Médine] s’adressent à toi pour arbitrer un différend, libre à toi d’en juger ou de t’en abstenir. Si tu t’abstiens d’intervenir, ils ne sauront te nuire en aucune manière ; mais si tu les juges, fais-le en toute équité ! Dieu aime ceux qui sont équitables.» (5 : 42) Ibn ‘Abbâs explique : « Lorsqu’un homme des Banû al-Nadîr tuait un homme des Banû Qurayza, les Banû al-Nadîr ne payaient que la moitié du prix du sang, et lorsqu’un homme des Banû Qurayza tuait un homme des Banû al-Nadîr, les Banû Qurayza payaient le prix du sang entièrement. Le Prophète ﷺa alors rétabli entre eux le même prix du sang.» QUELQUES ÉLÉMENTS CONCERNANT LA BATAILLE DES COALISÉS Ibn Ishâq et d’autres rapportent qu’un groupe de notables juifs de la ville de Khaybar (située à environ 200 kilomètres au nord de Médine) se rendirent à La Mecque (à 460 kilomètres au sud de Médine) pour rencontrer les Quraysh et les inciter à entrer en guerre contre l’État médinois, leur promettant en échange de les soutenir. Dans ce groupe étaient présents Salâm b. Abû Haqiq al-Nadri, Huyayy b. Akhtab al-Nadrî, Kinâna b. al-Rabî‘ b. Abû Haqiq al-Nadrî, Hawdha b. Qays al-Wâ’ilî, et Abû ‘Ammâr al-Wâ’ilî, tous des notables issus des tribus des Banû al-Nadîr et des Banû Wâ’il. Les Qurayshites leur demandèrent : « Ô juifs, vous qui êtes les premiers gens du Livre, et qui avez connaissance de ce qui nous a plongés en désaccord avec Muhammad, selon vous, notre religion est-elle meilleure que la sienne ?» Les notables juifs leur répondirent : «Votre religion est certes meilleure que la sienne, et vous êtes les premiers détenteurs de la vérité. » C’est à leur sujet que Dieu révéla ce verset : «N’as-tu pas remarqué que ceux qui ont reçu une partie des Écritures continuent à croire à la sorcellerie et aux idoles, en disant des païens qu’ils étaient sur une voie meilleure que celle des croyants ?» (4 : 51-55) Les Qurayshites se réjouirent de cette réponse, ce qui les incita à répondre favorablement à cette invitation à la guerre contre le Messager de Dieu ﷺ. Les juifs de Khaybar partirent, quant à eux, à la rencontre de la tribu de Ghatafân. Ils les poussèrent de la même manière à livrer bataille contre le Messager de Dieu ﷺ, leur affirmant qu’ils seraient à leurs côtés contre lui, et que les Qurayshites les suivraient également. Les Ghatafân tinrent conseil et leur répondirent favorablement. C’est ainsi que les Qurayshites se mirent en route avec, à leur tête, Abû Sufyân b. Harb, de même que les Ghatafân, menés par ‘Uyayna b. Husn b. Hudhayfa b. Badr du clan des Banû Fizâra, al-Hârith b. ‘Awf b. Abû Hâritha al-Murrî du clan des Banû Murra, et Mus‘ar b. Rakhîla b. Nuwayra b. Tarîf b. Sahma b. ‘Abdallâh b. Hilâl b. Khalâwa b. Ashja‘ b. Rayth b. Ghatafân. Lorsque le Prophète ﷺ fut informé de leurs projets, il ordonna de creuser une tranchée au nord de Médine, qui donnerait par la suite son nom à la bataille. Les musulmans avaient fini de creuser la tranchée lorsque les Qurayshites arrivèrent, forts de dix mille combat-tants avec, parmi eux, ceux qui les avaient rejoints de la tribu de Banû Kinâna et du clan de Tuhâma. Les Ghatafân et leurs alliés arrivèrent quant à eux du Najd, jusqu’à un point situé près du mont Uhud. Pendant ce temps-là, le Prophète ﷺavait quitté le centre de Médine, à la tête d’une armée de trois mille musulmans afin de garder le fossé. Il établit le campement de son armée de sorte à ce que le fossé séparait celle-ci des camps ennemis, avec le mont Sal‘ situé à l’arrière de ce campement. Il ordonna de mettre les femmes et les enfants à l’abri dans des tours fortifiées à l’arrière du front, au cœur de la ville de Médine. Les coalisés tenteront de traverser le fossé pendant plusieurs semaines, mais en vain. Ils finiront par quitter Médine. LE SIÈGE DES BANÛ QURAYZA DANS LE CORAN Le siège des Banû Qurayza est causé par leur alliance avec les tribus coalisées de Quraysh et de Ghatafân qui annonce la rupture du pacte qu’ils avaient conclu avec le Messager de Dieu ﷺet les autres tribus médinoises. L’événement est relaté dans la sourate « Les Coalisés » : plusieurs versets en explicitent les raisons et les circonstances, notamment au regard de la situation des croyants, de la relation qu’ils entretenaient avec la tribu des Banû Qurayza, et du rôle qu’avaient joué ces derniers durant la bataille des Coalisés. Dieu dit : « Ô vous qui croyez ! Souvenez-vous des bienfaits de Dieu à votre égard lorsque, pour vous délivrer des armées qui marchaient contre vous, Nous suscitâmes contre elles un ouragan et des troupes que vous ne pouviez voir, car rien n’échappe à la vigilance du Seigneur. Et au moment où les ennemis vinrent d’au-dessus de vous et d’en-dessous de vous, vos yeux étaient hagards d’épouvante et la frayeur vous prenait à la gorge, pendant que vous vous livriez sur Dieu à toutes sortes de conjectures. C’est là que les croyants furent mis à rude épreuve et ébranlés par une terrible secousse, tandis que les hypocrites et les sceptiques disaient : “Dieu et Son Prophète ne nous ont fait donc que de vaines promesses !”, et qu’au même moment certains d’entre eux s’écriaient : “Ô gens de Yathrib ! Vous n’avez plus rien à faire ici ! Retournez chez vous !”,alors que d’autres demandaient au Prophète la permission de se retirer de la bataille, en disant que leurs foyers étaient restés sans défense. Or, leurs foyers n’étaient pas en danger ; la réalité, c’est qu’ils voulaient seulement s’enfuir. Et si la ville avait été envahie en quelques points, et que les envahisseurs leur avaient de-mandé d’abjurer leur foi, ils se seraient exécutés sans hésiter longtemps à le faire. Et pourtant, ils s’étaient engagés, auparavant, devant Dieu à ne pas battre en retraite devant l’ennemi. Or, il est toujours rendu compte de tout pacte conclu avec le Seigneur. Dis-leur : “La fuite ne vous servira à rien, si vous fuyez pour ne pas mourir ou pour ne pas être tués au combat, car, de toute manière, vous ne jouirez que peu de temps de la vie.” Dis-leur aussi : “Qui peut aller contre la volonté de Dieu s’Il veut vous accabler d’un malheur ou s’Il veut vous gratifier d’une faveur ?” Aussi ne trouveront-ils en dehors de Dieu ni allié ni protecteur. Certes, Dieu connaît bien ceux d’entre eux qui sèment le défaitisme et qui disent à leurs frères : “Ralliez-vous à nous !”, sans jamais déployer eux-mêmes au combat que peu d’ardeur, par avarice à votre égard. Mais quand ils se sentent eux-mêmes en danger, tu les vois porter sur toi des regards angoissés, comme s’ils étaient à l’article de la mort. Et dès que le danger est passé, ils s’acharnent sur vous de leurs langues acérées, par cupidité pour le butin. Ces gens-là n’ont rien des vrais croyants. Aussi Dieu réduira-t-Il leurs œuvres à néant, et cela est si facile pour Lui. Ils pensent que les coalisés sont tou-jours là. Mais même si ces derniers revenaient, les hypocrites préféreraient se trouver dans le désert, parmi les nomades, et se contenter de prendre de loin de vos nouvelles. D’ailleurs, fussent-ils parmi vous, ils n’auraient fait preuve au combat que de peu d’ardeur. Vous avez, dans le Messager de Dieu, un si bel exemple pour celui qui espère en Dieu et au Jugement dernier, et qui évoque souvent le Nom du Seigneur. Et quand les croyants virent les coalisés, ils s’écrièrent : “Voici ce que nous avaient promis Dieu et Son Prophète ! Dieu et Son Prophète ont donc dit la vérité.” Et cela n’a fait que renforcer leur foi et leur soumission. Il est parmi les croyants des hommes qui ont tenu loyalement leur engagement vis-à-vis de Dieu. Certains d’entre eux ont déjà accompli leur destin ; d’autres attendent leur tour. Mais ils n’ont jamais rien changé à leur comportement, de sorte que Dieu récompensera les hommes loyaux pour leur sincérité, et châtiera, s’Il le veut, les hypocrites ou leur pardonnera. En vérité, Dieu est Indulgent et Compatissant. Dieu a fait rebrousser chemin aux infidèles, le cœur plein de rage et sans qu’ils n’aient acquis aucun avantage. Dieu épargna ainsi le combat aux croyants, car Dieu est Fort et Puissant. Et Il a fait descendre de leurs forteresses ceux des gens du Livre qui avaient prêté assistance aux coalisés, et a jeté l’effroi dans leurs cœurs. Vous en avez tué une partie et vous en avez capturé une autre. Dieu vous a fait ainsi hériter de leur pays, de leurs demeures, de leurs richesses et d’une terre que vos pieds n’avaient jamais foulée. La puissance de Dieu n’a point de limite. » (33 : 9 à 27) Le Coran fait référence au rôle des Banû Qurayza dans cette bataille dans la première partie du verset 10 de la sourate Les Coalisés : « Et au moment où les ennemis vinrent d’au-dessus de vous et d’en-dessous de vous, vos yeux étaient hagards d’épouvante et la frayeur vous prenait à la gorge, pendant que vous vous livriez sur Dieu à toutes sortes de conjectures.» (33 : 10) En effet, ceux « qui vinrent d’au-dessus » sont, d’après le célèbre exégète Mujâhid, les tribus coalisées menées par ‘Uyayna b. Badr et venant du Najd. Quant à ceux « qui vinrent d’en dessous», il s’agirait des Mecquois menés par Abû Sufyân, ainsi que des Banû Qurayza qui se sont alliés à eux14. Autrement dit, ceux qui « vinrent d’au-dessus de vous », sont ceux qui vinrent du haut de la vallée, dont la partie la plus haute est située à l’Est. C’est de là qu’arrivèrent ‘Awf b. Mâlik (de la tribu des Banû Nasr), ‘Uyayna b. Husn de la région de Najd, et Tulayha b. Khuwaylid al-Asdî de la tribu des Banû Asad. Quant à ceux qui « vinrent d’en-dessous de vous », il s’agit de ceux qui vinrent du cœur de la vallée à l’Ouest, par la face avant du fossé. C’est de ce côté qu’arrivèrent Abû Sufyân b. Harb et les Mecquois, Yazîd b. Jahsh (qui menait Quraysh), ainsi qu’Abû al-A‘war al-Salmî et Huyayy b. Akhtab des Banû al-Nadir, accompagnés de ‘Âmir b. Tufayl et des combattants de la tribu de Qurayza. Par ailleurs, le rôle des Banû Qurayza est explicitement mentionné dans un autre verset de la même sourate : « Et Il a fait descendre de leurs forteresses ceux[parmi]des gens du Livre qui les avaient soutenus [les Coalisés]» (33 : 26). Ce verset désigne les Banû Qurayza qui avaient soutenu les tribus coalisées de Quraysh et de Ghatafân, rompant par là le pacte conclu entre eux et le Messager de Dieu ﷺ. LA TRAHISONDES BANÛ QURAYZA Plusieurs récits ont été rapportés au sujet de la par-ticipation des Banû Qurayza à la bataille des Coalisés. Ils nous apprennent notamment que le pacte ne fut pas trahi d’emblée, mais après l’arrivée des tribus coalisées à Médine, et plus précisément au cours du siège que ces dernières imposèrent à la ville. Huyayy b. Akhtab al-Nadrî alla à la rencontre de Ka‘b b. Asad al-Qurazî qui, en tant que chef des Banû Qurayza, était responsable du pacte établi entre ceux-ci et le Prophète ﷺ. Au nom de sa tribu, il avait fait serment de paix et d’assistance mutuelle avec les musulmans et le reste des Médinois. Ka‘b ferma les portes de sa forteresse lorsqu’il apprit la venue de Huyayy et refusa d’abord de lui ouvrir malgré ses demandes répétées pour entrer. Huyayy l’appela : « Ô Ka‘b, ouvre-moi !» Ka‘b répondit : « Ô Huyayy, malheur à toi ! Tu es porteur d’un mauvais présage. J’ai établi un pacte avec Muham-mad, et je ne trahirai pas ce qu’il y a entre lui et moi, car je n’ai vu de lui que fidélité et honnêteté.» Huyayy dit : « Ouvre-moi afin que je te parle », ce que Ka‘b refusa de nouveau. Huyayy s’écria : « Par Dieu, tu ne t’enfermes que par crainte de devoir partager tes biens avec moi [l’accusant ainsi de manquer de générosité, valeur dont les tribus d’Arabie de l’époque, arabes comme juives, étaient fortement imprégnées].» Ka‘b lui ouvrit finalement la porte et Huyayy reprit : « Ô Ka‘b, je t’apporte la plus grande gloire de tous les temps et un océan de bienfaits. Je viens à toi en compagnie des chefs et des commandants de Quraysh, que j’ai amenés jusqu’au puits de Rûma, ainsi que de ceux de Ghatafân, que j’ai amenés par Nuqma près du mont Uhud. Ils m’ont promis et juré de ne quitter ce lieu que lorsqu’ils auront éradiqué Muhammad et tous ceux qui l’accompagnent. » Ka‘b b. Asad lui répondit :«Par Dieu, tu es venu à moi avec la plus grande ignominie du monde, tel un nuage vidé de son eau, jetant le tonnerre et des éclairs, mais ne portant en lui nul bienfait. Laisse Muhammad et moi à ce que nous avons conclu, car je n’ai vu de lui que sincérité et fidélité. » Huyayy continua de harceler Ka‘b, si bien qu’il lui fit changer d’avis, et lui promit solennellement que si Quraysh et Ghatafân n’arrivaient pas à bout de Muhammad ﷺ, il entrerait lui-même dans la forteresse des Banû Qurayza, resterait aux côtés de Ka‘b et des siens, et ferait face, à leurs côtés, à tout ce qui leur arriverait. C’est ainsi que Ka‘b rompit finalement son pacte avec le Prophète ﷺ et se parjura. Lorsque le Prophète ﷺ entendit la nouvelle, il envoya Sa‘d b. Mu‘âdh, du clan des Banû al-Ashhal, et chef de la tribu des Aws, avec Sa‘d b. ‘Ubâda du clan des Banû Sâ‘ida b. Ka‘b b. al Khazraj, chef de la tribu des Khazraj, et avec eux ‘Abdallâh b. Rawâha et Khawât b. Jubayr du clan des Banû ‘Amr b. ‘Awf. Le Prophète ﷺleur dit : « Allez vérifier la rumeur qui nous est parvenue. Si elle est véridique, transmettez-moi un signal que je puisse seul reconnaître, afin de ne pas affaiblir le moral des gens. Si elle se révèle fausse, et qu’ils [Banû Qurayza] demeurent fidèles au pacte qui nous lie à eux, alors annoncez-le ouvertement.» Lorsque les quatre hommes se rendirent chez les Banû Qurayza, ce qu’ils virent était bien pire que ce que le Prophète ﷺavait annoncé. Ces derniers proféraient des injures envers le Prophète ﷺet disaient : « Il n’y a plus de pacte entre nous et Muhammad ﷺ, ni de contrat. » Sa‘d b. ‘Ubâda, qui était dur de caractère, les insulta et ils l’insultèrent en retour. Sa‘d b. Mu‘âdh tenta alors de le tempérer en lui disant : « Ne te livre pas aux échanges injurieux avec ces gens, car ce qu’il y a entre eux et nous est bien plus grave. » Les deux hommes et leurs compagnons retournèrent auprès du Prophète ﷺ, le saluèrent, et lui dirent simplement : « ‘Adl et al-Qâra ». Ces deux noms faisaient référence à deux tribus qui avaient gravement trahi les musulmans. Le Prophète ﷺ déclara alors : « Dieu est le plus grand. Ô croyants, accueillez cette bonne nouvelle[que Dieu ne nous laissera pas vaincus] ». L’épreuve à venir prit toute son ampleur aux yeux des croyants, intensifiant leur crainte, alors que leurs ennemis apparaissaient de toutes parts, « de devant », comme « de derrière » eux, pour reprendre les termes du verset précédemment cité. Cette trahison fait état d’une attitude belliqueuse des Banû Qurayza, dont la détermination à attaquer les musulmans s’exprima par ailleurs lorsqu’ils tentèrent d’envahir le fort de Fâri‘, dans lequel s’étaient réfugiés les femmes, les enfants et les personnes âgées. C’est ainsi que fut tué l’un des leurs sur les remparts du fort À ce sujet, ‘Urwa b. al-Zubayr21a rapporté un témoignage de Safiyya bint ‘Abd al-Muttalib qui lui avait dit : « Je suis la première femme à avoir tué un homme. Tandis que j’étais dans le fort Fâri‘ de Hassân b. Thâbit, avec Hassân, auprès des femmes et des enfants, et alors que le Prophète ﷺ gardait la tranchée, je vis un homme juif[des Banû Qurayza] rôder autour du fort. Voyant qu’il nous espionnait et craignant qu’il n’informe les ennemis de notre faiblesse, je fis part de ma crainte à Hassân et lui demandai, en l’absence du Prophète ﷺ et de ses compagnons, de tuer cet homme. Hassân[qui était un poète et non un guerrier]refusa : “Que Dieu te pardonne, fille de ‘Abd al-Muttalib, je ne peux faire cela.” Ne pouvant ainsi rien attendre de lui, je pris une poutre et descendis tuer l’homme. » C’est certainement en raison de cette tentative d’agression contre le fort de Fâri‘, dans lequel s’étaient réfugiés des femmes et des enfants, que la trahison des Banû Qurayza fut qualifiée de « guerre » par Ibn ‘Umar dans le récit qui nous a été rapporté par al-Bukhârî : «Les Banû al-Nadîr et les Banû Qurayza nous déclarèrent la guerre une première fois. Le Prophète ﷺexila les Banû al-Nadîr qui avaient initié cette première trahison. Il donna une deuxième chance aux Banû Qurayza, jusqu’à ce qu’ils nous déclarent la guerre de nouveau. » Les épisodes que nous venons de mentionner démontrent bien que les agissements des Banû Qurayza constituaient une trahison.

COMMENT LES BANÛ QURAYZA FURENT-ILS JUGÉS ? La bataille du Fossé s’acheva avec la victoire du Prophète ﷺc ontre les Coalisés, qui se divisèrent après la bataille. À son retour au centre de Médine, Dieu envoya au Prophète ﷺ l’ange Gabriel, qui lui ordonna de se rendre immédiatement au quartier des Banû Qurayza. D’après ‘Â’isha : « Quand il rentra de la bataille du Fossé, le Messager de Dieu ﷺdéposa ses armes et se lava. L’ange Gabriel, qui avait participé à la bataille, lui apparut et lui dit : “Tu as déposé les armes alors que je ne les ai pas déposées.” Le Prophète ﷺlui demanda : “Où veux-tu aller combattre ?” L’ange Gabriel lui indiqua alors la direction du quartier des Banû Qurayza. Le Prophète ﷺs’exécuta et se dirigea vers leur quart-ier.» Ainsi fut établi un siège tout autour du village fortifié des Banû Qurayza, qui fut maintenu durant 25 nuits consécutives. À la suite du siège, les Banû Qurayza se rendirent, acceptant sans condition le jugement que rendrait le Prophète ﷺà leur égard. Ce fut toutefois Sa‘d b. Mu‘âdh que le Prophète ﷺchargea de rendre ce juge-ment. Sa‘d était le chef du clan des Banû ‘Abd al-Ashhal de la tribu des Aws, et l’allié des Banû Qurayza avant l’avènement de l’islam. Un texte a été rapporté par al-Bukhârî à ce sujet : D’après ‘Â’isha : « Sa‘d fut blessé lors de la bataille du Fossé, par Hibbân b. Qays, connu sous le nom de Hibbân b. al-‘Ariqa. Ce dernier faisait partie de Quraysh, du clan des Banû Ma‘îsb. ‘Âmir b. Lu’ayy. Le Prophète ﷺmonta alors une tente dans la mosquée afin que Sa‘d y soit soigné et resta près de lui. Le Prophète ﷺrentra ensuite, déposa ses armes et se lava. L’ange Gabriel lui apparut et lui dit : “Tu as déposé les armes alors que je ne les ai pas déposées. Va donc les affronter.” Le Prophète ﷺlui demanda : “Où veux-tu que j’aille ?” L’ange Gabriel lui indiqua alors la direction du quartier des Banû Qurayza. Le Prophète ﷺs’y rendit alors, à la suite de quoi les Banû Qurayza déclarèrent ac-cepter le jugement qu’il rendrait à leur égard. Il chargea alors Sa‘d de rendre ce jugement.» Sa‘d fut ainsi chargé de juger les Banû Qurayza pour leur trahison. Selon ‘Â’isha, Sa‘d déclara : « Voici mon jugement : exécutez tous les combattants[…].» Selon Abû Sa‘îd al-Khudrî, les Banû Qurayza acceptèrent d’être jugés par Sa‘d, qui se rendit auprès du Prophète ﷺ à la demande de ce dernier. Le Prophète ﷺ s’adressa alors aux membres présents des Banû Qurayza : «Levez-vous pour accueillir votre chef.» Sa‘d s’assit près du Prophète ﷺ, qui lui dit : « Ces gens ont accepté le jugement que tu rendras à leur égard.» Sa‘d déclara alors : «Voici mon jugement : exécutez tous les combattants[…]. » Le Prophète ﷺ lui répondit ensuite : «Tu as prononcé le même jugement que le Roi.» Ainsi, Sa‘d les jugea selon leurs propres lois et non selon celles de l’islam. Ces lois ont (notamment) pour source le Deutéronome, dans la Torah : « Quand tu t’approcheras d’une ville pour l’attaquer, tu lui offriras la paix. Si elle accepte la paix et t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouvera te sera tributaire et asservi. Si elle n’accepte pas la paix avec toi et qu’elle veuille te faire la guerre, alors tu l’assiégeras. Et après que l’Éternel, ton Dieu, l’aura livrée entre tes mains, tu en feras passer tous les mâles au fil de l’épée. Mais tu prendras pour toi les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui sera dans la ville, tout son butin, et tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que l’Éternel, ton Dieu, t’aura livrés31. » COMBIEN DE PERSONNES DU CLAN DES BANÛ QURAYZA FURENT TUÉES ? À ce propos, Dieu dit dans le Coran : « Et Il a fait descendre de leurs forteresses ceux des gens du Livre qui les avaient soutenus [les Coalisés] et Il a jeté l’effroi dans leurs cœurs. Un groupe d’entre eux vous tuiez, et vous faisiez prisonniers un autre groupe. » (33 : 26) L’agencement des mots à la fin de ce verset n’est pas anodin. Habituellement, en langue arabe, le complément d’objet direct est placé, comme en français, après le sujet et le verbe. Pourtant, dans « un groupe d’entre eux vous tuiez», le complément d’objet direct (un groupe) est placé avant le sujet et le verbe (vous tuiez). Cette inversion est une possibilité qu’offre la langue arabe et qui serait incorrecte en français. Il s’agit d’une figure de style classique qui permet de mettre en exergue le complément d’objet direct dont il est question, et dont la finalité serait ici de souligner l’importance de ce groupe et l’attention particulière qui lui était accordée. Ainsi, seules les personnalités les plus importantes des Banû Qurayza - les initiateurs du conflit et les chefs des combattants - furent exécutées, et non tous les hommes de cette tribu. C’est en cela que ce groupe serait important Par conséquent, ce verset confirme les anal-yses précédemment exposées selon lesquelles seule une partie d’entre eux fut exécutée, également corroborées par les textes issus des deux compilations les plus authentiques de la tradition musulmane, celles d’al-Bukhârî et Muslim. Après avoir ainsi établi que seule une partie des hommes des Banû Qurayza fut exécutée, est-il possible de déterminer leur nombre avec précision ? Les différentes versions qui furent rapportées au sujet du nombre de personnes ayant été exécutées suite au siège de Banû Qurayza et leur divergence . Le verset coranique n’a pas révélé cette information et, si les récits d’al-Bukhârî et Muslim relatent que ceux qui furent tués étaient les guerriers seulement, ils n’en précisent pas non plus le nombre. En revanche, plusieurs textes et traditions ont été relatés à propos de leur nombre. Néanmoins, ils ne fournissent à ce propos que des indications vagues et non une comptabilisation précise. Voici les différentes versions relatives à ce nombre :

- Une première version affirme qu’ils étaient 400. Jâbir b. ‘Abdallâh a rapporté : « Sa‘d b. Mu‘âdh fut blessé par une flèche qui lui coupa la veine médiane du bras. Le Messager de Dieu ﷺcautérisa alors sa blessure. La main de Sa‘d enfla et se mit à saigner. Le Messager de Dieu ﷺla cautérisa une nouvelle fois, mais la main de Sa‘d enfla de nouveau. Constatant que son état ne s’améliorait pas, il pria : “Ô Dieu, ne prends pas mon âme avant que je ne voie la justice rendue quant à la trahison des Banû Qurayza.” Le vaisseau se compressa alors et plus aucune goutte de sang ne coula de la plaie. Par la suite, les Banû Qurayza acceptèrent d’être jugés par Sa‘d b. Mu‘âdh et le Prophète ﷺle fit venir. Sa‘d décida que leurs hommes soient exécutés, que leurs biens soient partagés, et que leurs femmes et enfants soient réduits en captivité. Le Messager de Dieu dit après avoir entendu ce jugement : “Le jugement que tu as porté était celui de Dieu.” Ils étaient alors quatre cents. Lorsque l’exécution de la sentence fut achevée, la veine de Sa‘d se rompit et il mourut. » - Dans une deuxième version, on rapporte qu’ils étaient entre 600 et 900. Selon Ibn Ishâq, six cents ou sept cents personnes ont été condamnées. La plupart des personnes qu’il a interrogées au moment où il étudiait la question lui ont dit qu’ils étaient entre huit cents et neuf cents. - La troisième version, celle d’Ibn ‘Abbas, dénombre 750 condamnés. - La quatrième version comptabilise 700 condamnés. Ibn ‘Â’idh rapporte qu’ils étaient 700 selon Qatâda. Mais son récit est relaté dans un hadith mursal, ce qui signifie que l’information ne remonte pas jusqu’au Messager de Dieu ﷺ. - La cinquième version recense quant à elle 40 condamnés. Ibn Zanjawayh a rapporté, selon une chaîne de transmission remontant à Ibn Shihâb al-Zuhrî : « Le Messager de Dieu ﷺ se rendit au quartier des Banû Qurayza, et les assiégea jusqu’à ce qu’ils acceptent d’être jugés par Sa‘d b. Mu‘âdh. Ce dernier condamna leurs hommes à mort, et ordonna le partage de leurs biens et la mise en captivité de leurs femmes et enfants. Quarante hommes d’entre eux furent tués. » En somme, les textes divergent grandement sur ce sujet et portent à confusion. Ce niveau de divergence sur les chiffres est-il habituel dans le domaine des sources de la sîra ? Il serait tentant d’expliquer cette divergence par un manque de rigueur dans les récits de la sîra sur les questions de pure statistique, auxquelles peu d’attention aurait été accordée, en avançant des arguments liés à la culture orale prédominante dans la société des Arabes de l’époque par rapport à la culture écrite. Toutefois, cette hypothèse est rapidement écartée devant les données chiffrées précises à disposition au sujet de nombreux autres événements. En effet, le nombre de personnes ayant participé aux épisodes les plus marquants de la sîra, comme les batailles de Badr, d’Uhud, du Fossé, ou au traité de Hudaybiya, est à chaque fois rapporté de manière précise et s’il existe quelques divergences, celles-ci restent faibles et ne remettent pas en cause, comme c’est le cas ici, l’ordre de grandeur du nombre lui-même. Par ailleurs, on constate que ces cas de divergences relatives au nombre de participants aux événements restent minoritaires. À titre d’exemple, il existe un consensus parmi les historiens de la sîra sur le nombre de compagnons ayant participé à la bataille de Badr, qui se situe autour de 310, et leur désaccord porte sur une différence ne dépassant pas une dizaine de combattants par rapport à ce nombre. Par ailleurs, les récits sont souvent d’une précision telle que pour certains événements, ils vont jusqu’à répertorier le nombre de montures et de boucliers utilisés, en plus du bilan chiffré et nominatif des morts dans les deux camps. Ceci est même vrai pour certains récits relatifs à des événements plus anciens, dans lesquels les participants sont énumérés nominativement, et qui font l’objet de peu de divergences d’une version à l’autre. C’est le cas par exemple pour le nombre et les noms des compagnons qui ont émigré vers l’Abyssinie, alors que cet épisode de la sîra a eu lieu bien longtemps avant la bataille de Banû Qurayza. Ainsi, l’ampleur du désaccord sur le nombre de condamnés parmi les Banû Qurayza contraste avec l’exactitude habituelle des récits de la sîra. Par conséquent, il est nécessaire de collecter et d’examiner très attentivement d’autres indices et preuves afin de connaître le nombre exact de morts. Cela permettra de déterminer la version la plus plausible, qui concorderait au mieux avec les faits historiques qui ont véritablement eu lieu. Deux incohérences de la thèse selon laquelle des centaines de personnes parmi les Banû Qurayza auraient été exécutées .

Plusieurs sources se sont accordées pour dire que l’exécution du jugement n’eut pas lieu au sein des enceintes des villages fortifiés de Banû Qurayza. L’ex-écution n’eut pas non plus lieu à l’endroit du fossé qui avait été creusé pour défendre le nord de la ville durant la bataille des Coalisés. Le fossé, étant déjà creusé, aurait pourtant été un choix naturel afin de faciliter l’enterrement. De la même façon, l’exécution n’eut pas lieu à proximité du cimetière d’al-Baqî‘. Les différents textes dont nous disposons s’accor-dent pour dire que les condamnés furent conduits vers le centre de Médine. Ibn Ishâq rapporte : «Puis ils [les Banû Qurayza]se rendirent. Le Messager de Dieu ﷺ les emprisonna alors à Médine, dans la maison de la fille d’al-Hârith, une femme des Banû al-Najjâr.» Dans son ouvrage intitulé al-Maghâzî, al-Wâqidî rapporte qu’après leur défaite, les Banû Qurayza furent capturés. On les conduisit alors chez Usâma b. Zayd, tandis que les femmes et les enfants furent emmenés chez la fille d’al-Hârith. Ibn Hajar dit dans Fath al-Bârî : « Ibn Ishâq mentionne l’emprisonnement des Banû Qurayza dans la maison de la fille d’al-Hârith. Abu al-Aswad a rapporté, en citant ‘Urwa b. al-Zubayr, qu’ils ont été emprisonnés dans la maison d’Usâma b. Zayd. Si on prend pour vraies ces deux versions, on en déduit qu’ils furent placés dans deux maisons. Cela concorde avec le récit de Jâbir rapporté par Ibn ‘Â’idh où il est dit que les Banû Qurayza furent placés dans deux maisons suite à leur capture.» Les récits historiques évoquent que les esclaves, les femmes et les enfants furent déplacés vers le centre de Médine. Par conséquent, à supposer que le nombre des condamnés pût véritablement se compter par centaines, les femmes et les enfants se seraient alors comptés par milliers. Cela conduit à constater deux incohérences majeures : aucun récit ne fait état du déplacement de centaines de condamnés vers Médine. Tout d’abord, comment le déplacement de tant d’individus aurait-il pu être assuré alors que plus de 7 km les séparaient du centre de Médine ? Déplacer des milliers de personnes aurait demandé une logistique trop importante, qui aurait été décrite dans les récits que nous avons à notre disposition. Les lieux où les condamnés furent logés ne peuvent pas avoir accueilli des centaines de personnes . À l’argument cité précédemment s’ajoute une deuxième incohérence de taille. En effet, le grand traditionniste Ibn Hajar a déduit de l’ensemble des récits historiques que les captifs (combattants condamnés et civils faits prisonniers à la suite du jugement de Sa‘d) furent installés dans deux maisons seulement, celle d’Usâma b. Zayd et celle de Ramla bint al-Hârith. La demeure d’Usâma b. Zayd n’était pas connue à Médine. Par conséquent, nous ne disposons pas d’informations sur son emplacement, ni sur sa capacité d’accueil ou sur sa superficie. Ceci contraste avec la notoriété dont bénéficiaient les maisons avoisinant la mosquée du Prophète ﷺ malgré leur grand nombre. Ainsi, certaines de leurs caractéristiques telles que leur superficie, leur emplacement les unes par rapport aux autres, et leur valeur immobilière, sont connues encore aujourd’hui du fait de la multitude de textes mentionnant ces détails. La moindre spécificité caractérisant une demeure, telle que son insalubrité, ou encore le fait qu’elle ait accueilli un événement important comme un mariage, se trouve mentionnée, de même que l’on trouve de nombreuses précisions sur la superficie plus ou moins spacieuse des demeures. Parmi toutes les maisons que l’on trouve décrites par au moins un hadith, celle d’Usâma b. Zayd n’a jamais été évoquée. Cela signifie qu’elle était tout à fait ordinaire et n’avait aucune distinction particulière. De plus, Usâma b. Zayd était un mawlâ, terme qui s’emploie pour désigner un esclave, un affranchi ou fils d’affranchi [son père Zayd, avait été affranchi par le Prophète ﷺ]. Par conséquent, n’appartenant pas à une classe sociale aisée, il est improbable qu’il ait possédé une vaste maison, qui aurait pu accueillir des dizaines, voire des centaines de condamnés. Quant à la seconde maison où furent hébergés les captifs déplacés, elle appartenait à Ramla bint al-Hârith et était destinée à accueillir les délégations étrangères venues rencontrer le Prophète ﷺ. La maison de Ramla se situait légèrement à l’est de la mosquée du Prophète ﷺ à une distance d’environ 200 à 300 mètres, au niveau du parc al-Rumiya qui a existé jusqu’à une époque récente. Le Prophète ﷺ ordonnait qu’on accueille les délégations dans la maison de Ramla et chargeait Bilâl ainsi que d’autres compagnons de veiller à ce que les invités ne manquent de rien. Or, les recherches conduites sur le nombre de délégations reçues dans cette maison montrent que la plus grande délégation que Ramla bint al-Hârith ait accueillie était celle des Banû ‘Udhra, qui comptait dix-neuf hommes. Ce lieu a également hébergé : - La délégation des Fuzâra, qui comptait une di-zaine d’hommes ; - Celle des ‘Abd al-Qays lors de leur première visite, qui comptait treize hommes ; - Celle des Salâmân, qui ne comptait que sept hommes ; - Celle des Banû Tha‘laba, qui comptait quatre hommes ; - Celle de Ghassân, qui comptait trois hommes. En revanche, la délégation de Nakha‘, qui comptait deux cents hommes, fut hébergée dans une grande maison, connue sous le nom de : Maison des Invités (dâr al-adyâf). Toutes les grandes délégations étaient accueillies dans cette maison, qui avait une capacité d’accueil de deux cents personnes environ ; si leur nombre était supérieur, une tente était alors dressée à l’extérieur pour pouvoir recevoir tous ses membres. Ce fut le cas lors de la visite de la délégation des Thaqîf. Ainsi, si la maison de Ramla avait une capacité d’accueil nettement inférieure à celle de la Maison des Invités, qui elle-même ne pouvait pas accueillir plus de 200 personnes, comment la maison de Ramla et celle d’Usâma auraient-elles pu accueillir des centaines ou des milliers de condamnés ? Étant donné que l’on sait que tous les condamnés ont été hébergés dans ces deux maisons, leur nombre devait être donc bien plus faible, pour qu’ils puissent effectivement être accueillis dans des maisons de si modeste taille. L’étude des lieux d’hébergement des condamnés est donc un premier argument rendant irréaliste que des centaines de personnes aient été exécutées.

ÉTUDE DU LIEU OÙ LES COMBATTANTS DES BANÛ QURAYZA FURENT EXÉCUTÉS Les deux points précédents permettent à eux seuls de démontrer l’incohérence et le caractère irréaliste de l’hypothèse selon laquelle il y aurait eu des centaines de condamnés à mort parmi les Banû Qurayza. Nous allons à présent étudier plusieurs éléments qui nous permettrons de faire une estimation plus précise de leur nombre, et de déterminer la version la plus réaliste parmi celles qui ont été précédemment rapportées, au regard des informations dont nous disposons. Lieu de l’exécution capitale et de l’inhumation

Afin d’identifier la version la plus réaliste concernant le nombre de tués chez les Banû Qurayza, nous allons à présent nous intéresser aux conditions de leur exécution. Al-Wâqidî rapporte que le Prophète ﷺ se rendit au marché le matin suivant l’annonce de la sentence, et ordonna de creuser une tranchée rectangulaire. Celle-ci fut creusée à un endroit du marché situé entre la maison d’Abû Jahm al-‘Adawî et les pierres à huile du marché. La tranchée commençait donc à la maison d’Abû Jahm al-‘Adawî et s’arrêtait au niveau des pierres à huile. Il est important de préciser pour la suite de ce raisonnement que le marché de Médine se terminait au niveau des pierres à huile et du tombeau du compagnon Mâlik b. Sinân. Nous allons à présent établir les distances entre ces deux lieux, ce qui nous permettra de connaître la longueur de la tranchée d’exécution, ce qui nous donnera une idée de l’ordre de grandeur du nombre de condamnés qui y ont été exécutés. D’autre part, connaître la distance qu’il y a entre cette tranchée et le lieu où les condamnés étaient détenus44nous permettra d’estimer le temps qu’a pris chaque exécution, sachant qu’elles n’avaient pas lieu simultanément, comme cela sera explicité par la suite. LIMITE 1 : LA MAISON D’ABÛ JAHM Au sujet de la maison d’Abû Jahm, d’après un hadith rapporté par Mâlik, son oncle Abû Suhayl b. Mâlik a entendu son père dire : « Nous entendions la récitation de ‘Umar b. al-Khattâb[faite à la mosquée]de la maison d’Abû Jahm qui se trouvait à al-Balât. » Or, al-Balât est un lieu proche du marché de Médine, qui existe depuis l’époque du Prophète ﷺ. Ce lieu est mentionné dans plusieurs hadiths. Al-Balât s’étend jusqu’à la limite du marché de la ville, au niveau des pierres à huile et du tombeau de Mâlik b. Sinân, c’est-à-dire du côté ouest de la mosquée du Prophète ﷺ. Un autre récit permet d’évaluer aisément la distance entre la mosquée et la maison d’Abû Jahm. Ismâ‘îl a rapporté, d’après Abû Suhayl, le témoignage du père de celui-ci qui avait dit avoir entendu ‘Umar b. al-Khattâb réciter le Coran durant la prière du matin [alors qu’il se trouvait au niveau de la maison d’Abû Jahm]. Isma‘îl précise : «Il y avait entre eux environ sept cents coudées.» Ainsi, quand Mâlik rapporta qu’on entendait « la récitation de ‘Umar depuis la maison d’Abû Jahm au al-Balât», c’était dans le but de souligner la force de la voix de ‘Umar, du fait de la distance éloignée entre la maison et la mosquée. Il s’avère ainsi que la maison d’Abû Jahm se situait à 700 coudées, soit environ 500 mètres à l’ouest de la mosquée du Prophète ﷺ, du côté des pierres à huile et du tombeau de Mâlik b. Sinân.

LIMITE 2 : LES PIERRES À HUILE ET LE TOMBEAU DE MÂLIK B. SINÂN Les pierres à huile : un lieu connu à l’époque des événements . Les pierres à huile ont été mentionnées dans plusieurs hadiths. ‘Umayr, l’affranchi d’Abû al-Lahm, rapporte qu’il vit le Prophète ﷺ se tenant debout à côté d’al-Zawrâ’, au niveau des pierres à huile, et implorant Dieu d’amener la pluie. Il invoquait Dieu avec les mains levées au niveau de son visage, sans qu’elles ne dépassent la hauteur de sa tête. Emplacement des pierres à huile : Yâqût a dit : « C’est un endroit où il y avait des pierres. Celles-ci furent enterrées [pour faciliter le passage] lorsqu’on fit passer la route par là. Ibn Jubayr a dit [à propos de ces pierres à huile] : “Ces pierres existent toujours et il est encore possible de les trouver. C’est en ce lieu que le Prophète ﷺ faisait la prière de la pluie.”» D’autre part, nous savons que le compagnon Mâlik b. Sinân a été tué durant la bataille d’Uhud et qu’il a été enterré chez les gens d’al-‘Abâ’. Ibn Zubâla ajoute à ce sujet : « Et il y avait là-bas des pierres à huile et le tombeau de Mâlik b. Sinân, qui est bien connu.» Quant aux pierres à huile, on les trouvait selon Ibn Shabba à al-Zawrâ‘ qui faisait partie intégrante du marché de Médine. Le lieu où se trouvaient les pierres à huile a été ensuite intégré à la mosquée de Mâlik b. Sinân, qui fut édifiée sur le lieu de la tombe de ce compagnon. Cette mosquée a existé jusqu’à une époque récente. Au regard de l’étude des lieux, il est impossible que des centaines de personnes aient été exécutées .

Après avoir localisé d’une part la maison d’Abû Jahm, qui indique le début de la tranchée d’exécution (située à environ 500 mètres de la mosquée, tel que vu précédemment), et d’autre part les pierres à huile (qui délimite la tranchée d’exécution), il apparaît que cette zone ne suffirait pas à enterrer plusieurs centaines de personnes, pour différentes raisons que nous allons à présent détailler. Le premier argument démontrant l’improbabilité que des centaines de personnes aient pu être exécutées à cet emplacement est la faible longueur de la tranchée en question. En effet, enterrer plusieurs centaines de personnes aurait nécessité une fosse plus large et plus longue. En outre, le lieu choisi est un important lieu de rassemblement, situé près des habitations. La place vient donc à manquer. Le deuxième argument réside dans le choix du lieu de cette exécution, qui a la particularité d’être localisé à l’extrémité du marché. Il semble que le Prophète ﷺ a voulu renforcer le caractère moral de cette exécution et faire un exemple des combattants qui avaient trahi le Pacte de Médine. Pour cela, il a choisi un lieu fortement fréquenté où tous pourraient être témoins du sort qui était réservé à ceux qui trahissaient ce pacte et mettaient en danger la paix et la sécurité des citoyens. La volonté de faire un exemple des combattants de Banû Qurayza apparaît également dans une autre version mentionnée dans les prochaines pages, lorsque le Prophète ﷺ répartit certains condamnés des Banû Qurayza sur des clans des tribus des Aws, leurs anciens alliés, pour qu’ils soient exécutés par ces derniers. Cependant, l’utilisation d’une zone située à proximité du marché pour renforcer le caractère moral de cette exécution n’aurait pas été faisable si les tués s’étaient comptés par centaines. Il aurait été en effet impossible de tous les exécuter et de les enterrer dans un lieu public. Cela aurait impliqué que des centaines de personnes aient été enterrées dans le marché et ses environs. Or, le creusement d’une grande tranchée d’exécution, qui aurait fait du marché une grande fosse commune avec des centaines de personnes enterrées, serait en inadéquation totale avec sa fonction première, qui est d’être le lieu principal de la vie économique. Une telle fosse aurait endommagé durablement la zone, tant sur le plan urbain que sanitaire. Cette contrainte était déjà connue à l’époque, puisqu’il existait des cimetières séparés des lieux d’habitation, à Médine comme ailleurs dans le monde. D’autre part, pourquoi creuser une nouvelle fosse alors même que le fossé utilisé pour repousser les coalisés n’avait pas encore été rebouché ? De la même manière, pourquoi une fosse aussi importante aurait-elle été creusée aux dépens du marché de la ville, cœur de la vie économique, l’endommageant durablement, alors que des étendues importantes de terrains non utilisés situées entre les différents quartiers de la ville étaient disponibles ? Enfin, il est important de noter que cette zone fut le théâtre d’importants travaux à une époque récente. Ces travaux ont permis d’agrandir la zone se trouvant à proximité de la mosquée du Prophète ﷺ et de construire des routes et des commerces. L’ensemble des terrains de la zone ont été creusés jusqu’à dix mètres de profondeur. Par conséquent, si les tués des Banû Qurayza s’étaient comptés par centaines, on aurait retrouvé des restes de leurs corps, comme ce fut le cas pour les diverses fosses communes que les archéologues ont pu découvrir à travers le monde. Nous avons interrogé des ouvriers et des ingénieurs ayant travaillé sur ce chantier. Ils nous ont affirmé n’avoir jamais rien trouvé de tel. L’exécution du jugement Intéressons-nous maintenant, plus en détail, à l’exécution du jugement rendu contre les Banû Qurayza. Plusieurs questions sont à soulever : Le jugement fut-il exécuté en présence du Prophète ﷺ? Les condamnés furent-ils tous exécutés en un même lieu ? Existe-t-il des traces des échanges qui eurent lieu entre le Prophète ﷺ et les condamnés ? Par qui la sentence fut-elle exécutée et à quel moment ? La sentence s’appliqua-t-elle à des femmes ou à des enfants, ou uniquement à des hommes ? 1. LE JUGEMENT FUT-IL EXÉCUTÉ EN PRÉSENCE DU PROPHÈTE ﷺ? Le Prophète ﷺ assista avec plusieurs compagnons à l’exécution de la sentence. Les récits historiques rapportent même, comme nous le verrons, qu’il discuta avec certains condamnés et qu’il en gracia d’autres. 2. LES CONDAMNÉS FURENT-ILS TOUS EXÉCUTÉS EN UN MÊME LIEU ? Tous les condamnés ne furent pas exécutés au même endroit. Il apparaît qu’ils furent séparés en deux groupes. Le premier groupe fut exécuté en présence du Prophète ﷺ comme nous le verrons par la suite, dans la partie traitant des discussions qu’il eut avec certains d’entre eux. Le second groupe fut exécuté par certains clans des Aws, avec lesquels les Banû Qurayza avaient été alliés par le passé. L’exécution de la sentence pour les condamnés de ce groupe ne se fit pas en un seul lieu mais elle fut répartie entre les Aws de manière à ce que tous les quartiers principaux de la tribu soient impliqués. Dans son ouvrage intitulé « al-Maghâzî », al-Wâqidî aborde ce sujet : « Sa‘d b. ‘Ubâda et al-Hubbâb b. al-Mundhir dirent au Prophète ﷺ : “Ô Prophète ﷺ, exécuter les Banû Qurayza à l’endroit où ils signèrent leur traité répugnerait aux Aws”. Sa‘d b. Mu‘âdh (des Aws) répliqua : “Ô Prophète, les gens de bien parmi les Aws ne s’y opposeront jamais. Quant à ceux qui s’y opposeraient, que Dieu ne soit pas satisfait d’eux !” Usayd b. Hudayr intervint alors : “Ô Prophète, n’omets point un seul quartier parmi ceux des Aws dans la répartition des condamnés. Si quelqu’un s’y oppose, il sera perdant. Envoie donc le premier groupe dans mon quartier.”Le Prophète ﷺenvoya alors deux con-damnés chez les Banû ‘Abd al-Ashhal : l’un fut exécuté par Usayd b. Hudayr, et l’autre par Abû Nâ’ila. Il envoya également deux condamnés chez les Banû Hâritha, dont l’un fut exécuté par Abû Burda b. al-Nayyâr et Muhaysa et l’autre par Abû ‘Abs b. Jabr et Zahîr b. Râfi‘. Il envoya ensuite deux condamnés chez les Banû Zufr. À ce propos, Ya‘qûb b. Muhammad relate que selon ‘Âsim b. ‘Umar b. Qatâda, l’un des condamnés fut exécuté par Qatâda b. al-Nu‘mân et l’autre par Nadr b. al-Hârith. Selon ‘Âsim : “Ayyûb b. Bashîr al-Mu‘âwî a dit : ‘Deux condamnés furent envoyés chez les Banû Mu‘âwiya, l’un fut exécuté par Jabr b. ‘Atîk et l’autre par Nu‘mân b. ‘Asr, l’un de leurs alliés.’” D’après d’autres sources : “Le Prophète ﷺenvoya également deux condamnés chez les Banû ‘Amr b. Awf, ‘Uqba b. Zayd et son frère Wahb b. Zayd, dont l’un fut exécuté par ‘Uwaym b. Sâ‘ida et l’autre par Sâlim b. ‘Umayr.” » C’est ainsi que les condamnés furent répartis entre les Aws, eux-mêmes demeurant à divers endroits de Médine, afin que tous les Aws sachent ce qu’il était advenu d’eux. De cette manière, la recommandation de Usayd b. Hudayr fut réalisée : « N’omets point une seule demeure parmi celles des Aws dans la réparti-tion des condamnés. Si quelqu’un s’y oppose, il sera perdant. » Or, ces clans des Aws étaient répartis aux quatre coins de Médine. Au regard du faible nombre de condamnés qui furent envoyés à chaque clan (les récits cités font état d’un à deux condamnés par clan), le nombre total d’exécutés était donc proportionnellement faible. En effet, dans le cas contraire, si les condamnés s’étaient comptés par centaines, bien plus de condamnés auraient été attribués à chaque clan. 3. EXISTE-T-IL DES TRACES DES ÉCHANGES QUI EURENT LIEU ENTRELE PROPHÈTE ﷺET LES CONDAMNÉS ? Même après que Sa‘d avait rendu le jugement ordonnant l’exécution des combattants de Banû Qurayza sur la base de la juridiction juive, le Prophète ﷺ instaura un dialogue avec eux dans l’espoir qu’ils expriment du regret pour leur trahison. En effet, les différentes versions montrent que les innocents et tous ceux qui se repentaient sincèrement et qui souhaitaient vivre dans un climat de paix étaient pardonnés. En témoignent plusieurs récits rapportant des échanges avec quatre condamnés : Huyayy b. Akhtab, Nubâsh b. Qays, Ghazâl b. Samû’al, et Ka‘b b. Asad. L’échange avec Huyayy b. Akhtab Dans son ouvrage intitulé « al-Kabîr », al-Tabarânî rapporte de ‘Urwa les propos suivants : « Huyayy b. Akhtab fut amené pour être exécuté. Le Prophète ﷺlui demanda : “Penses-tu maintenant que Dieu t’a humilié ?” Huyayy répondit : “Tu m’as vaincu, mais je ne regrette pas ce que je t’ai fait.” Le Prophète ﷺdonna donc l’ordre de son exécution.» Selon la version d’al-Wâqidî, Huyayy b. Akhtab fut amené, les mains attachées près de son cou. Il portait un vêtement rouge de valeur qu’il avait mis pour son exécution, et déchiré pour que personne ne puisse l’utiliser par la suite. Le Prophète ﷺ lui dit : « Ennemi de Dieu, Dieu ne t’a-t-Il pas vaincu ? » Huyayy répondit : « Si, mais je ne regrette pas de t’avoir pris comme ennemi. J’ai cherché mon honneur là où je le devais et Dieu t’a donné la victoire. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, mais celui qui trompe Dieu est ensuite trompé. » L’échange avec Nubâsh b. Qays Selon le récit d’al-Waqidî, Nubâsh b. Qays fut amené. Il avait fortement tiré l’homme qui le con-duisait, à plusieurs reprises, et celui-ci avait alors frappé Nubâsh au nez, provoquant un saignement. Le Prophète ﷺdemanda à l’homme : « Pourquoi lui as-tu fait cela ? N’est-ce pas suffisant qu’il doive être exécuté ?» L’homme lui répondit : « Ô Messager de Dieu ﷺ, c’est lui qui m’a tiré fortement en tentant de s’enfuir.» Nubâsh b. Qays dit alors : « Il ment ô Abû al-Qâsim, et je jure par la Torah que s’il m’avait laissé, je n’aurais jamais manqué de venir là où mon peuple a été tué, pour y être tué à mon tour.» Le Prophète ﷺ ordonna alors à propos des autres détenus : « Assurez-vous de leur confort, de leur repos, donnez-leur à boire jusqu’à ce qu’ils soient rafraîchis avant leur exécution. N’ajoutez pas la chaleur du soleil à la peine de l’épée.» Ces faits se déroulaient un jour de forte chaleur. L’échange avec Ghazâl b. Samû’al Lorsque Ghazâl b. Samû’al fut amené au Prophète ﷺ, celui-ci lui demanda : « Dieu n’a-t-il pas permis que tu sois vaincu ? » Ghazâl lui rétorqua : « Si, ô Abû al-Qâsim. » Le Prophète ﷺ donna alors l’ordre de l’exécution. L’échange avec Ka‘b b. Asad Ka‘b b. Asad fut amené, les mains nouées au niveau du cou. Il avait un beau visage. Le Prophète ﷺ l’interpella en ces mots : « Ô Ka‘b b. Asad ?» Ka‘b lui répondit : « Oui, Abû al-Qâsim.» Le Prophète ﷺ lui dit : « Qu’avez-vous fait du conseil d’Ibn Khirâsh, qui croyait en moi ? Ne vous a-t-il pas dit de me suivre et de me saluer en son nom si vous me voyiez ?» Ka‘b répondit : « Si, et je jure par la Torah, ô Abû al-Qâsim, que si je n’avais pas craint que les juifs se moquent de moi et disent que je crains le combat, je t’aurais suivi ; mais j’ai suivi la religion juive.» Le Prophète ﷺ ordonna alors qu’il soit exécuté.

Ces récits attestent bien de l’existence des discussions qui furent initiées par le Prophète ﷺ. Or, les textes présentés précédemment montrent bien que la durée totale de l’ensemble des exécutions était courte. Ceci démontre une fois de plus que le nombre d’exécutés ne peut avoir atteint des centaines. Une autre indication corroborant cette thèse se trouve dans le récit de la discussion qui eut lieu avec al-Zubayr b. Bâtâ. Celui-ci avait été épargné par le Prophète ﷺà la demande de l’un des musulmans, qui avait intercédé en sa faveur. Al-Zubayr voulut savoir ce qui était advenu de plusieurs de ses compagnons. Lorsqu’il apprit leur exécution, il refusa d’être gracié, ne voulant pas vivre sans eux. Lorsqu’al-Zubayr mentionna les hommes de son peuple, il les cita et les décrivit un à un. Si l’exécution avait concerné tous les hommes de sa tribu, il ne se serait pas enquis du sort de certains d’entre eux en particulier, puisqu’il aurait su qu’ils étaient tous condamnés à mort. Ses questions auraient également eu moins de sens si le nombre d’exécutés avait été très important, puisqu’il lui aurait fallu men-tionner beaucoup de noms pour connaître la sen-tence des autres condamnés de sa tribu. Ses paroles semblent plutôt indiquer que les hommes exécutés représentaient une partie réduite des hommes de Banû Qurayza. Al-Bayhaqî et Ibn Zanjawayh rapportent les propos suivants de ‘Urwa : « Thâbit b. Qays b. Shammâs se rendit auprès du Prophète ﷺet lui dit : “Accorde-moi le pardon du juif al-Zubayr, je lui suis redevable pour son aide lors de la bataille de Bu‘âth.” Le Prophète ﷺaccorda alors à al-Zubayr sa remise en liberté. Thâbit alla à la rencontre d’al-Zubayr, et lui demanda : “Ô père de ‘Abd al-Rahmân, me recon-nais-tu ?” Al-Zubayr répondit : “Oui, comment un homme peut-il ignorer son frère ?” Thâbit lui dit : “Je veux te rendre ce que je te dois pour l’aide que tu m’as apportée le jour de la bataille de Bu‘âth.” Al-Zubayr dit : “Fais donc, l’homme digne récompense son semblable.” Thâbit répondit : “Je l’ai fait, j’ai intercédé auprès du Prophète ﷺen ta faveur et il t’a accordé la liberté.” Celui-ci objecta : “Je n’ai nulle part où aller, puisque vous avez pris ma femme et mon fils.” Thâbit s’absenta un moment, puis revint auprès d’al-Zubayr et lui dit : “Le Prophète ﷺ te rend ta femme et ton fils.” Al-Zubayr ajouta alors : “Ma famille et moi ne pouvons vivre sans la terre qui nous nourrit.” Thâbit consulta alors de nouveau le Prophète ﷺ, qui lui accorda ce qu’al-Zubayr souhaitait. Thâbit revint voir al-Zubayr et lui dit : “Le Prophète ﷺ ne t’a-t-il pas rendu ta famille et tes biens ? Repens-toi donc à Dieu et tu seras épargné.” Al-Zubayr s’enquit alors du sort des autres condamnés, et Thâbit lui dit : “Ils ont été exécutés. Peut-être Dieu t’a-t-Il gardé en vie pour un bien.” Al-Zubayr l’implora : “Thâbit, je te demande devant Dieu et en retour de l’aide que je t’ai rendue le jour de Bu’âth, que tu me laisses les suivre, car cette vie sans eux n’a désormais plus aucune valeur pour moi.” Thâbit rapporta la requête d’al-Zubayr au Prophète ﷺ, qui[la lui accordant]ordonna qu’al-Zubayr soit exécuté. » Ce récit fut aussi cité par Muhammad b. Ishaq b. Yasâr, rapportant les dires d’al-Zuhrî à propos d’al-Zubayr b. Bâtâ ; ainsi que par Mûsâ b. ‘Uqba, qui mentionna qu’al-Zubayr était alors âgé et aveugle. Le récit d’al-Bayhaqî et d’Ibn Zanjawayh précise qu’al-Zubayr mentionna le nom des hommes de son peuple. Le récit d’al-Wâqidî apporte davantage de détails à ce propos : « Al-Zubayr demanda : “Ô Thâbit, qu’est devenu celui dont le visage brille comme un miroir de Chine, Ka‘b b. Asad ?” ; Thâbit l’informa de son exécution. Al-Zubayr demanda : “Qu’est devenu le seigneur de la cité et du désert, celui qui nous conduit à la guerre et qui nous nourrit, Huyayy b. Akhtab ?” ; Thabit l’informa de son exécu-tion. Al-Zubayr demanda : “Qu’est devenu le premier à soutenir et protéger les juifs à chacun de leurs déplacements, Ghazâl b. Samû’al ?” ; Thâbit l’in-forma de son exécution. Al-Zubayr demanda : “Qu’est devenu celui au cœur avisé, qui apaise toute tension et résout tout conflit, Nubâsh b. Qays ?” ; Thâbit l’informa également de son exécution. Al-Zubayr demanda : “Qu’est devenu le porteur de drapeau, Wahb b. Zayd ?” ; Thâbit l’informa de son exécution. Al-Zubayr demanda : “Qu’est devenu le protecteur des pauvres parmi les juifs, le père des orphelins et des veuves parmi les juifs, ‘Uqba b. Zayd ?” ; Thâbit l’informa de son exécution. Al-Zubayr demanda : “Que sont devenus les deux ‘Umar qui étudiaient la Torah” ; comme pour tous les compagnons qu’al-Zubayr venait de citer, Thâbit l’informa de l’exécution des deux hommes. Al-Zubayr s’écria alors : “Ô Thâbit, quel bien me resterait-il à vivre après ces hommes ? Comment puis-je retourner vivre dans une demeure où ils se trouvaient si je dois y vieillir sans eux?” » 4. PAR QUI LA SENTENCE FUT-ELLE EXÉCUTÉE, ET À QUEL MOMENT ? La sentence des condamnés autres que ceux qui furent mis à mort par les Aws fut mise en application par deux jeunes compagnons, ‘Alî et al-Zubayr, comme cela fut rapporté : «‘Alî et al-Zubayr exécutèrent les condamnés en présence du Prophète. » Seuls ‘Alî et al-Zubayr étaient habilités pour cela. L’exécution se déroula entre la période du ‘Asr (prière de l’après-midi) et la fin du crépuscule, selon les ordres du Prophète ﷺ : « En ce jour de grande chaleur, ne leur faites pas endurer à la fois la peine de la chaleur ardente du soleil et celle de l’épée.» Selon le calendrier hégirien, ces événements se déroulèrent entre la fin du mois de Dhû al-Qi‘da et le début du mois de Dhû al-Hijja de l’an 5 de l’hégire, ce qui correspond au mois d’avril de l’an 627 du calendrier grégorien. Selon les horaires des prières de Médine, au cours du mois d’avril, l’appel à la prière du ‘asr avait lieu à 15h54 et celui de la prière du maghrib à 18h38. En outre, le crépuscule prend fin environ une demi-heure après le coucher du soleil, qui coïncide avec la prière du maghrib. Ce constat soulève une incohérence non négligeable : comment deux personnes auraient-elles pu, à elles seules, exécuter des centaines de condamnés sur une période de temps aussi courte? Cette incohérence est d’autant plus remarquable que l’exécution d’un certain nombre de condamnés fut précédée d’une discussion avec eux. En effet, les exécutions ne se firent pas collectivement mais individuellement, comme nous l’avons vu précédemment. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, les condamnés étaient hébergés chez Usâma b. Zayd et Ramla bint al-Hârith, aux abords immédiats de la mosquée, dans le quartier des Banû al-Najjâr. Ils étaient donc séparés du lieu de l’exécution par 500 mètres environ, ce qui représente une dizaine de minutes de marche pour deux personnes dont l’une d’entre elle serait enchainée. D’autre part, les récits que nous avons précédemment exposés attestent du fait que le Prophète ﷺ a discuté avec les condamnés, pendant plusieurs minutes parfois. Chaque exécution n’a donc pas pu prendre moins d’une dizaine de minutes, dont au moins cinq, temps d’exécution inclus, où chaque condamné était seul, en présence du Prophète ﷺ, sur le lieu de l’exécution. En tenant compte de ces informations, il apparaît comme évident que l’exécution de plusieurs centaines de personnes aurait nécessité bien plus de temps que les trois heures (environ) qui séparent la prière du ‘asr et la fin du crépuscule.

5. LA SENTENCE S’APPLIQUA-T-ELLEÀ DES FEMMES OU À DES ENFANTS,OU UNIQUEMENT À DES HOMMES ? Concernant les femmes Seule une femme des Banû Qurayza fut condamnée. Toutefois, son exécution n’était pas fondée sur son appartenance à cette tribu, mais sur un crime qu’elle avait commis en tuant Khallâd b. Suwayd, sur lequel elle avait jeté une pierre à moudre du haut des remparts. En conséquence de cet acte, elle fut jugée pour meurtre et condamnée à mort. Dans son ouvrage, al-Wâqidî rapporte les détails suivants : « Une femme de la tribu des Banû al-Naḏîr nommée Nabâta était mariée à un homme des Banû Qurayza et tous deux s’aimaient. Le siège devenant de plus en plus éprouvant, elle se lamenta sur son sort et lui dit : “Tu vas me quitter [car tu seras bannie ou tué].” Son mari lui répondit : “Sur la Torah, voudrais-tu, puisque tu es une femme, jeter cette pierre à moudre sur eux, étant donné que nous n’avons encore tué aucun d’entre eux ? Même si Muhammad ﷺ découvre que nous avons commis ce meurtre, il ne te tuera pas, car il ne tue point les femmes.” En réalité, il craig-nait que sa femme ne soit capturée en cas de défaite et préférait qu’elle soit tuée pour un crime qu’elle aurait commis[Il lui mentit donc volontairement, en sachant qu’elle serait condamnée pour son crime, comme elle l’aurait été en temps de paix.]Alors que Nabâta était dans la forteresse d’al-Zubayr b. Bâtâ, elle jeta une pierre à moudre du haut de l’édifice, au pied duquel se trouvaient les musulmans, se reposant sans doute à l’ombre. Ceux-ci s’enfuirent à la vue du projectile, qui atterrit toutefois sur Khallâd b. Suwayd, qui était assoupi, et lui fendit le crâne. Les musulmans menacèrent alors les habitants de la forteresse [de représailles]. Le jour de l’exécution des condamnés, Nabâta se rendit chez ‘Â’isha, riant, et lui dit : “Les nota-bles des Banû Qurayza se font exécuter. Si tu entends quelqu’un appeler ‘Nabâta’, sache, par Dieu, qu’il s’agira de moi.” ‘Â’isha lui demanda : “Pourquoi cela ?”. Nabâta lui répondit :“Mon mari m’a tuée.” Elle était une jeune femme qui s’exprimait d’une belle manière. ‘Â’isha s’étonna :“Ton mari t’a tuée ? Que signifie cela ?” Nabâta lui expliqua : “Alors que j’étais dans la forteresse d’al-Zubayr b. Bâtâ, sur ordre de mon mari, j’ai jeté une pierre à moudre sur les compagnons de Muhammad ﷺ et ainsi fendu le crâne de l’un d’entre eux, qui en est mort. Je serai donc certainement exécutée pour cet acte.” Le Prophète ﷺ ordonna en effet son exécution en conséquence du meurtre qu’elle avait commis. ‘Â’isha raconte : “Je n’oublierai jamais la bonté et la bonne humeur de Nabâta malgré son exécution imminente.”» Si nous tenons le récit d’al-Wâqidî pour vrai, nous pouvons en déduire que les civils des Banû Qurayza, qui n’avaient pas été condamnés [puisqu’ils n’étaient pas derrière la trahison], étaient libres d’aller et venir puisque Nabâta se trouvait chez la Mère des Croyants, ‘Â’isha, et que cette dernière ne s’était pas du tout aperçue que Nabâta était condamnée à mort avant que celle-ci ne soit appelée pour être exécutée. Concernant les enfants Abû Dâwûd rapporte le récit de ‘Aṯiyya al-Qurazî : « Je faisais partie des Banû Qurayza et j’étais parmi les condamnés à mort. Néanmoins, seuls les adultes d’entre eux étaient exécutés. Ceux qui étaient encore impubères furent graciés. Quant à moi, j’étais encore impubère. » Ainsi, les jeunes garçons étaient graciés même s’ils avaient pris part à la bataille, comme ce fut le cas pour ‘Atiyya al-Qurazî et Rifâ‘a b. Samu’âl.

CONCLUSION En définitive, cette étude circonstanciée de chacun des détails concernant l’exécution des condamnés des Banû Qurayza conduit in fineà réfuter les récits dénombrant des centaines de condamnés. En effet, l’analyse des informations qui nous sont parvenues à ce sujet soulève plusieurs questions qui remettent profondément en question la cohérence de ces récits : si les combattants de Banû Qurayza qui furent exécutés se comptent réel-lement par centaines, où auraient-ils été hébergés ? Qui se serait occupé d’eux ? Comment auraient-ils été transportés d’un endroit à l’autre ? Combien de temps leur exécution aurait-elle pris dans les condi-tions relatées ? Combien de personnes auraient dû être sollicitées pour procéder à ces exécutions en si peu de temps ? Où auraient-ils été enterrés ? Ces questions ne trouvent aucun élément de réponse permettant d’appuyer la thèse selon laquelle les condamnés se seraient comptés par centaines. En d’autres termes, chacune des contradictions et incohérences ainsi révélées suffit à elle seule à démentir cette thèse : qu’en est-il alors lorsqu’on considère les arguments présentés dans leur totalité ? À ces éléments viennent s’ajouter les versets coraniques et les récits extraits des recueils authentiques d’al-Bukhârî et Muslim cités au début de cette étude. En conclusion, l’ensemble de ces données permettent de déduire que la version rapportée par Ibn Zanjawayh, selon laquelle seule une quarantaine de personnes ont été condamnées, est la plus plausible. Il s’agit de la seule version compatible avec les informations et les arguments qui ont servi à l’élaboration de cette étude, et qui reflètent eux-mêmes l’état actuel de la connaissance que l’on a aujourd’hui du siège des Banû Qurayza. Cette analyse a permis de démontrer que malgré sa présence dans plusieurs livres de la sîra, la thèse estimant le nombre des con-damnés de Banû Qurayza à plusieurs centaines n’est pas soutenable lorsqu’elle est soumise à une démarche de raisonnement scientifique, étant donné le manque de fondement logique pouvant être constaté vis-à-vis des arguments qui la composent. L’Institut SIRA s’aligne sur l’avis proposé ici par les chercheurs du Centre de Recherche de Médine, qui au terme des analyses précédemment citées, tant à travers les sources textuelles et traditionnelles, que sur le plan archéologique, retient que la version rapportant le nombre de tués des Banû Qurayza la plus en adéquation avec les résultats des recherches, est celle d’une quarantaine de morts, comme le rapporte Ibn Zanjawyah.